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Femmes et écriture en Espagne au XIXe siècle: la double écriture de la pédagogie morale et du roman

Solange Hibbs-Lissorgues





La littérature édifiante produite par les femmes représente une abondante production. Parmi les titres constamment conseillés dans les catalogues des éditeurs et dans revues et journaux, elles sont très présentes. Elles le seront encore plus dans les dernières décennies du siècle, au moment où l'essor de la presse leur fournit des supports de diffusion privilégiés (Kirkpatrick, 1989, pp. 83-84). L'abondance des rééditions de romans d'écrivains-femmes catholiques du XIXe siècle est assez impressionnante et prouve qu'il existait une demande et un public pour cette littérature édifiante. Fernán Caballero bien sûr et d'autres moins connues comme Pilar Sinués del Marco, Antonia Rodríguez de Ureta, Aurora Lista, Faustina Sáez de Melgar et Ángela Grassi étaient très populaires et leur production romanesque, qui offrait les garanties de l'innocuité idéologique et du didactisme, convenait parfaitement aux familles, aux femmes de la nouvelle bourgeoisie de la deuxième moitié du siècle. Le code moral proposé au public féminin tenait compte des transformations socio-politiques de l'époque: revalorisation de la famille et du rôle de la mère comme «censeur et administrateur» spirituel, plus grande importance de la «morale domestique», élargissement de l'espace familial traditionnel par le biais du prosélytisme religieux et social et de l'enseignement. Il semble que dans le projet de société bourgeoise de l'époque l'omission d'un statut politique et économique de la femme ne lui laissait qu'un domaine où prendre sa revanche: celui de la formation morale, de l'éducation. C'est pourquoi l'écriture romanesque de ces romancières est vécue le plus souvent comme une nécessité pédagogique: écrire un roman édifiant c'est contribuer, nous dit Sinués del Marco, à la moralisation, à l'illustration de la femme1.

Qui sont ces femmes romancières, journalistes, parfois aussi directrices de revues et dont le statut d'écrivain était difficilement accepté au XIXe siècle?

Grâce à certains travaux, encore trop rares sur ce domaine particulier de la littérature, elles sont plus faciles à identifier. Les recherches minutieuses et très exhaustives de María del Carmen Simón Palmer ont permis de mettre en évidence le très grand nombre de femmes qui, au siècle passé, s'adonnaient à l'écriture d'une façon ou d'une autre. Des chercheurs comme Susan Kirkpatrick ont montré les résistances et réactions de la société du XIXe siècle face à une génération de femmes écrivains «pionnières», qui avaient osé transgresser leur rôle traditionnel et s'exprimer dans des ouvrages lus par un public relativement important. Qu'il s'agisse d'écrivains très conservatrices quant aux valeurs et représentations féminines traditionnelles ou de romancières plus audacieuses dans leur pensée et leur expression, l'écriture représente toujours un compromis douloureux entre l'émancipation de l'esprit, l'aspiration à la création et les exigences morales et sociales inhérentes à leur condition de femme. Les travaux de Susan Kirkpatrick révèlent ces tensions permanentes dans l'œuvre de femmes qui éprouvaient toujours le besoin de justifier leur démarche créatrice.

Les limites de ces œuvres ont été montrées par des historiens de la littérature comme Íñigo Sánchez Llama qui a exhumé des romans d'écrivains comme ceux de Ángela Grassi. Cette grande productrice de feuilletons est certainement un exemple significatif d'une génération d'écrivains femmes très croyants qui mirent leur plume au service d'une cause morale. Les multiples contraintes qui pèsent sur l'écriture romanesque de Ángela Grassi sont celles que l'on retrouve dans l'œuvre des écrivains femmes citées précédemment.

C'est précisément chez ces femmes qui produisirent récits brefs et romans pour la «bonne cause» que les frontières entre l'écriture pédagogique et l'écriture romanesque sont les plus imprécises.

Sans prétendre faire un recensement exhaustif des romancières «bien pensantes» de cette période, il nous a semblé intéressant de tenter d'évaluer la part représentée par la production de ces femmes dans la littérature récréative et édifiante. Signalons à ce propos que tout un pan de la recherche dans ce domaine reste à explorer: l'analyse plus systématique des textes produits par ces écrivains et une meilleure connaissance du rôle joué par ces femmes dans la vie culturelle de leur époque constituent un apport incontournable pour l'appréciation de l'histoire des mentalités et de la littérature du XIXe siècle.

Qui sont ces femmes romancières, journalistes, parfois aussi directrices de revues et dont le statut d'écrivain était difficilement accepté au XIXe siècle?

Grâce à certains travaux, encore trop rares sur ce domaine particulier de la littérature, elles sont plus faciles à identifier. Les recherches minutieuses et très exhaustives de María del Carmen Simón Palmer ont permis de mettre en évidence le très grand nombre de femmes qui, au siècle passé, s'adonnaient à l'écriture d'une façon ou d'une autre. Des chercheurs comme Susan Kirkpatrick ont montré les résistances et réactions de la société du XIXe siècle face à une génération de femmes écrivains «pionnières», qui avaient osé transgresser leur rôle traditionnel et s'exprimer dans des ouvrages lus par un public relativement important. Qu'il s'agisse d'écrivains très conservatrices quant aux valeurs et représentations féminines traditionnelles ou de romancières plus audacieuses dans leur pensée et leur expression, l'écriture représente toujours un compromis douloureux entre l'émancipation de l'esprit, l'aspiration à la création et les exigences morales et sociales inhérentes à leur condition de femme. Les travaux de Susan Kirkpatrick révèlent ces tensions permanentes dans l'œuvre de femmes qui éprouvaient toujours le besoin de justifier leur démarche créatrice.

Les limites de ces œuvres ont été montrées par des historiens de la littérature comme Íñigo Sánchez Llama qui a exhumé des romans d'écrivains comme ceux de Ángela Grassi. Cette grande productrice de feuilletons est certainement un exemple significatif d'une génération d'écrivains femmes très croyants qui mirent leur plume au service d'une cause morale. Les multiples contraintes qui pèsent sur l'écriture romanesque de Ángela Grassi sont celles que l'on retrouve dans l'œuvre des écrivains femmes citées précédemment.

C'est précisément chez ces femmes qui produisirent récits brefs et romans pour la «bonne cause» que les frontières entre l'écriture pédagogique et l'écriture romanesque sont les plus imprécises.

Sans prétendre faire un recensement exhaustif des romancières «bien pensantes» de cette période, il nous a semblé intéressant de tenter d'évaluer la part représentée par la production de ces femmes dans la littérature récréative et édifiante. Signalons à ce propos que tout un pan de la recherche dans ce domaine reste à explorer: l'analyse plus systématique des textes produits par ces écrivains et une meilleure connaissance du rôle joué par ces femmes dans la vie culturelle de leur époque constituent un apport incontournable pour l'appréciation de l'histoire des mentalités et de la littérature du XIXe siècle.


Pratique de l'écriture et transgression des rôles

Le besoin que ressentaient beaucoup de ces femmes écrivains de se justifier face à leur public, par rapport à leur propre écriture, était permanent. L'autojustification fut surtout une des constantes du groupe de romancières qui revendiquaient l'orientation moralisatrice et chrétienne de leur œuvre. Des écrivains comme Matilde Troncoso de Oíz (Raquel), Antonia Rodríguez de Ureta, Aurora Lista, Enriqueta Lozano de Vilches, Faustina Sáez de Melgar, María Pilar del Sinués et bien sûr Fernán Caballero produisirent un nombre important de romans édifiants généralement diffusés par des éditeurs-libraires catholiques de renom ou par une presse orthodoxe et catholique au-dessus de tout soupçon. Les professions de foi de ces femmes, dans les prologues de leurs ouvrages et dans l'abondante masse d'articles, de récits édifiants publiés dans des revues destinées à un public bien-pensant, ne laissaient aucun doute quant à la dimension didactique et religieuse de leur production.

Il convient bien sûr de nuancer l'appréciation sur l'originalité et l'impact de ces œuvres. Certaines de ces femmes comme Antonia Rodríguez de Ureta et Faustina Sáez de Melgar portèrent un regard lucide sur les déficiences de l'éducation féminine et utilisèrent la presse pour proposer de timides ouvertures dans le domaine culturel et social2.

Autre aspect original en ce qui concerne ces écrivains féminins: la collaboration qu'elles surent établir par presse interposée et la solidarité dont elles firent preuve entre elles. La prise de conscience des résistances provoquées par leur activité d'écrivain et les difficultés matérielles de publication avaient suscité chez certaines la volonté d'organiser leurs propres supports de diffusion. Cette attitude novatrice chez des femmes qui voulaient apparaître avant tout comme le modèle de la parfaite chrétienne explique en partie les réactions de refus, les jugements dévalorisants dont leur œuvre fut parfois l'objet.

Au-delà de la convergence d'idées et de finalité qui unissait ces écrivains, prédominait un désir intense d'acceptation et de reconnaissance. Un cas exemplaire est celui de l'amitié et de la collaboration entre Pilar Sinués et Ángela Grassi. Directrice de la revue El Correo de la Moda rachetée par son frère en 1867, Ángela Grassi ouvre les colonnes de sa revue à certains écrivains femmes de sa génération, issues en général de la bourgeoisie moyenne de cette époque et toutes «bien-pensantes».

Dans cette revue ce sont les mêmes noms qui reviennent: Pilar Sinués, Lozano de Vilches, Sáez de Melgar. Notons aussi la fréquence avec laquelle Ángela Grassi fait l'éloge de l'œuvre de certaines d'entre elles et rédige le prologue de leurs ouvrages les plus connus. Dans El ángel del hogar (1859), à l'occasion de l'étude publiée par Pilar Sinués sur l'éducation féminine et dont la septième édition paraît en 1885, Ángela Grassi décrit en termes élogieux les mérites d'un écrivain «extrêmement populaire» dont les romans:

«No son novelas, son libros de estudio cuyo principal mérito consiste en saturar el alma con tiernas e indelebles impresiones».


(Pilar Sinués, 1885, p. 8)                


Ce prologue constitue d'ailleurs une authentique profession de foi de Ángela Grassi sur le roman édifiant. Le fait de retrouver ces idées en introduction à une œuvre de Pilar Sinués n'est pas le fruit du hasard. En justifiant l'œuvre d'un écrivain dont les principales vertus étaient la finalité moralisante, la conformité aux valeurs traditionnelles, Ángela Grassi légitimait par la même occasion sa propre production de romancière.

Comme l'avaient fait Fernán Caballero et Pilar del Sinués dans de nombreux textes, Ángela Grassi rappelle à ses lectrices la priorité de l'engagement maternel et domestique sur l'identité professionnelle. À un siècle où prédomine le discours masculin, les romans proposés par ces femmes ne sont souvent que la reproduction de modèles féminins élaborés en dehors d'elles.

Autre fait qui illustre leur désir de reconnaissance intellectuelle: la plupart d'entre elles cherchèrent l'appréciation et l'appui d'écrivains hommes. Des personnalités du monde intellectuel bien pensant comme Carlos Frontaura, directeur de la revue Los Niños (1872) et auteur de romans moraux destinés à l'enfance, Marcelino Menéndez Pelayo, J. E. Hartzenbush et Ferrer del Río, directeurs de la publication Crónica de Ambos Mundos qui contribua à faire connaître Ángela Grassi et d'autres de ses contemporaines, encouragèrent et appuyèrent les initiatives créatrices de cette génération d'écrivains féminins3.

Par ailleurs, beaucoup d'entre elles bénéficièrent, avant d'atteindre une certaine notoriété, de leur insertion dans le monde journalistique.

Pilar Sinués, mariée au journaliste José Marco, dirigea à partir des années 1850 la revue El Ángel del Hogar sans parler de ses multiples collaborations dans El Correo de la Moda, La Moda Elegante Ilustrada..., El Mundo Pintoresco, El Fénix, etc. Faustina Sáez de Melgar publia ses premières poésies en 1851 dans El Correo de la Moda et fut aussi une collaboratrice assidue de la presse catholique de son époque. Antonia Rodríguez de Ureta, également mariée à un journaliste, Benedicto Mollà, diffusa l'intégralité de son œuvre romanesque dans la revue qu'elle lança et dirigea, La Semana Católica de Barcelona. Quant à Ángela Grassi qui bénéficia de l'appui de la Crónica de Ambos Mundos, et qui avait collaboré dès 1844 à El Pensamiento, revue de Badajoz dirigée par Carolina Coronado, elle devint propriétaire en 1867 de la revue El Correo de la Moda grâce à laquelle elle acquit une certaine notoriété comme romancière. Le cas de Aurora Lista est également intéressant dans la mesure où ses récits édifiants et ses romans furent proposés au public d'abord dans la presse et plus précisément dans la Revista Popular. Certaines de ses œuvres ne furent d'ailleurs jamais publiées par un éditeur.

Malgré le sentiment de culpabilité qui imprégnait les pages de leurs ouvrages et l'extrême application qu'elles mettaient à proposer les représentations et valeurs féminines véhiculées par la culture catholique de leur époque, elles étaient conscientes de la situation sociale privilégiée qui leur permettait de remplir la mission pédagogique et moralisatrice dont elles se croyaient investies. La meilleure façon pour elles de justifier ce qui pouvait apparaître comme une transgression était précisément d'utiliser leur plume pour inciter les autres femmes à accepter l'étanche espace domestique garant de l'essentiel féminin: rédemption morale et maternité.

Sans aucun doute, ces écrivains extrêmement conformistes dans l'ensemble furent des vecteurs notoires de la diffusion d'un idéal féminin et de normes de comportement qui excluaient toute ambition intellectuelle excessive et perpétuaient la rigide hiérarchie des sexes. La scrupuleuse différenciation psychologique et morale des fonctions féminines, l'assujettissement de la femme à des tâches prioritairement domestiques, étaient des composantes essentielles de la culture bourgeoise à laquelle appartenaient la majorité de ces écrivains femmes. Rien d'étonnant dans ces conditions à ce qu'elles aient souhaité conforter leur écriture romanesque par la production de traités de bonne conduite morale et de manuels sur l'éducation féminine.

Cette préoccupation pédagogique concerne d'ailleurs tous les domaines d'une activité féminine étroitement circonscrite: éducation du cœur et des sentiments, éducation morale et, beaucoup plus rarement, éducation de l'esprit. Il s'agit alors de proposer d'homéopathiques dosages de lectures, les seules libertés tolérées en matière d'écriture étant essentiellement épistolaires4.

Toutes ces romancières catholiques et «bien-pensantes» pratiquèrent la double écriture de la pédagogie morale et du roman. Les manuels catholiques de savoir-vivre qu'elles publièrent atteignirent souvent des tirages supérieurs à ceux de leurs romans. Quelques exemples peuvent illustrer cet enracinement d'une écriture féminine dans la littérature didactique. Citons les cas de Ángela Grassi qui rédigea un Manual de urbanidad para uso de la juventud de ambos sexos (1862), de Pilar Pascual de San Juan, auteur d'un best-seller pédagogique, Guía de la mujer o lecciones de economía doméstica para las madres de familia (1870) dont la treizième édition fut publiée en 1909 ainsi que celui de María de los Dolores Pozo y Mata, romancière qui affichait un catholicisme à toute épreuve et qui publia des ouvrages à succès pleins de bons conseils et de bons sentiments comme La Voz de una madre (1895) réédité quatre fois et La joven católica en familia y en sociedad (1910). D'autres écrivains femmes comme María Pilar Sinués del Marco et Antonia Rodríguez de Ureta sont particulièrement dignes d'attention.

L'écrivain Sinués del Marco était surtout connue pour ses livres de contes pour enfants et ses traités pédagogiques féminins5. Des ouvrages comme Hija, esposa y madre: Cartas dedicadas a la mujer acerca de sus deberes para con la familia y la sociedad (1864-1866), Un libro para las damas. Estudios acerca de la educación de la mujer (1875) ou La dama elegante. Manual práctico y completísimo del buen tono y del buen orden doméstico (1880) connurent jusqu'à huit éditions. Dans un autre de ses ouvrages à grande diffusion, El ángel del hogar, obra moral y recreativa dedicada a la mujer et dont la septième édition revue et complétée parut en 1885, María del Pilar Sinués expose ses idées sur la vocation littéraire féminine. La défense des aspirations de la femme à une certaine éducation de l'esprit est très étroitement limitée par la revendication d'un idéal dans lequel prédominent affectivité et sentimentalisme:

«Yo os aconsejo, madres de familia, que enseñéis a vuestras hijas únicamente a sentir. La mujer que siente, es buena hija, buena esposa y buena madre».


(Sinués, 1859, p. 94)                


Les réserves qu'expriment Sinués quant à l'accès des femmes à l'écriture reflètent à la fois ses craintes d'apparaître comme une «marisabidilla» et sa position essentiellement conservatrice en ce qui concerne le rôle social et culturel du sexe féminin.

Toutes les réflexions que propose cet écrivain sur la place des femmes dans la culture de son époque se réduisent à une mise en garde contre les dangers provoqués par des prétentions injustifiées et «ridicules». Les femmes qui veulent se consacrer à la littérature sont des êtres hybrides incapables de se réaliser dans un domaine presque exclusivement réservé aux hommes et incapables d'assumer leur véritable mission de «ángel doméstico»:

«¡Extraño delirio es, por cierto, el que hace abandonar la dulce dicha del hogar doméstico para correr detrás de un fantasma que raras veces ve realizado el hombre y que nunca alcanza la débil mano de la mujer!»


(Ibid., p. 223)                


Les remarques que livre María Pilar Sinués à ses lectrices témoignent de ce, qu'était l'attitude générale vis-à-vis des femmes auteurs: regard critique, désapprobateur sur celles qui abandonnaient leur espace féminin et transgressaient ainsi un double interdit, culturel et moral. En décrivant les conditions peu propices aux femmes de son époque pour le passage à l'acte d'écrire, l'auteur de El ángel del hogar semble souligner ses propres difficultés à vouloir s'aventurer dans un domaine jusqu'alors essentiellement masculin:

«[...] En esos tiempos en que tanto se escribe, es tan difícil encontrar un editor como un marido y tan difícil agotar la edición de unas poesías como hallar un ávaro generoso. Es necesario un nombre conquistado a fuerza de vigilias y penalidades. Es necesario que el que se dedique a escribir haya consumido sobre su mesa el color de sus mejillas, el brillo de sus ojos y la savia de su vida, para que pueda ganar algun dinero con su pluma6».


(Ibid., pp. 223-224)                


Par ailleurs, son insistance à revendiquer une littérature féminine à la fois morale et instructive répond à son désir d'atténuer une incursion coupable dans des zones masculines réservées. En rabaissant le genre du roman au rang d'une activité essentiellement didactique, elle réduisait l'ambiguïté de son statut en tant qu'auteur.

Loin d'être une conquête de soi ou des autres, la pratique littéraire réclamée dans ce cas voulait conforter les femmes dans une situation qui leur était naturellement réservée:

«[...] esposa dulce, digna y resignada, madre tierna y previsora, hermana amante e indulgente, hija obediente y sumisa».


(Ibid., p. 287)                


Pilar Sinués, comme bien d'autres auteurs femmes de son époque, gardera toujours une espèce de crainte à se laisser aller à l'écriture comme acte public. Il est significatif à cet égard que pour elle, à l'instar de beaucoup de ses contemporaines, le passage à l'écriture se soit fait par le biais de la traduction. Activité anonyme qui avait le mérite d'être considérée comme spécifiquement féminine, la traduction pouvait se pratiquer dans l'intimité, sans la publicité presque scandaleuse pour une femme que supposait le marché littéraire. En outre, cet aimable passe-temps susceptible d'être interrompu lorsque nécessaire, était une activité compatible avec les obligations domestiques. Car Sinués ne cesse de le rappeler à ses lectrices: «no puede ser buena la mujer que descuida sus deberes» (ibid., p. 221).

Traductrice d'une vingtaine de romans français de Mme de Genlis, Octave Feuillet et Mathilde Bourdon, Pilar Sinués fait son entrée en littérature avec des romans et des récits édifiants qui perpétuent la veine morale, pédagogique et sentimentale des auteurs qu'elle avait fréquentés.

Ce glissement à l'acte d'écrire est d'ailleurs perpétuellement justifié par la nécessité de proposer au public féminin de son époque distraction et moralisme didactique. Cette orientation tolérée d'une production romanesque destinée aux femmes est la norme incontournable dont se réclament toutes les romancières «orthodoxes». Ángela Grassi, dans son prologue des œuvres de Sinués, est une de celles qui résumera le mieux les exigences et les limites de cette littérature essentiellement édifiante:

«El objeto casi constante que se propone es iluminar a la mujer débil y tímida [...]. Es necesario recordarla que las sonrisas del mundo son como los fuegos fátuos de los cementerios [...]. La mujer, fluctuando en medio de su camino, arrastrada al mal por el torbellino de las costumbres, llamada al mal por el torbellino de desmoralizadoras ideas, necesita siquiera oir una voz que la recuerde lo que fue, lo que debe ser para ocupar un puesto privilegiado entre los nombres; un puesto privilegiado entre los ángeles del cielo».


(Ibid., p. 15)                


Cette écriture aseptique, à la frontière du roman et du traité de morale, est celle que pratiquent des auteurs féminins comme Faustina Sáez de Melgar, Antonia Rodríguez de Ureta et Fernán Caballero. La première de ces écrivains femmes est aussi l'auteur d'un nombre abondant de manuels de savoir-vivre pour jeunes filles et femmes catholiques. Ces écrits atteignirent des tirages honorables et auréolèrent leur auteur de respectabilité: trois rééditions de Un libro para mis hijas. Educación cristiana y social de la mujer (1877) publié avec un prologue de l'ecclésiastique Idelfonso Gatell, Manual de la joven adolescentes (1881) et de Deberes de la mujer. Colección de artículos sobre la educación (1866).

Quant à Antonia Rodríguez de Ureta, elle n'échappe pas à cette obsession du moralisme didactique et sa formation d'institutrice a laissé une empreinte durable sur son œuvre. Cette inspectrice de l'enseignement secondaire, originaire des Asturies, romancière et journaliste, ne put jamais résister à la tentation d'être pédagogue avant d'être romancière. Auteur de plusieurs manuels de lecture pour les écoles catholiques, et d'un dévotionnaire pour les instituts et collèges religieux, elle diffusa plusieurs romans édifiants destinés à démontrer aux mères de famille la supériorité de l'éducation chrétienne.

Dans Andrea o la hija del mar (1896) qui est un modèle du genre, l'auteur justifie, sa démarche de romancière par la nécessité d'éduquer les femmes. Ce roman se veut une démonstration permanente des idées de son auteur: la fausse éducation proposée aux femmes dans une société libérale est l'unique cause de sa décadence et la piété constante sa première obligation morale. L'intitulé même du roman ne laisse d'ailleurs aucun doute quant au propos prioritairement didactique de la romancière:

«Novela educativa, eminentemente moral, cuyo fin es demostrar con multitud de ejemplos la pasmosa deficiencia de la educación que hoy se da a la mujer, así como los métodos erróneos de enseñanza que se emplean so pretexto de gran moralidad...»


(Rodríguez de Ureta, 1896, prólogo)                


Dans d'autres romans comme Pacita o la virtuosa Filipina, novela moral, instructiva y recreativa (1885), digressions morales et admonestations s'enchaînent réduisant la narration à un simple exemplum.

Cet asservissement à l'idée et à l'édification se retrouve dans d'autres romans moins préoccupés de thèmes comme l'éducation ou la femme. Dans El poder de la gracia (1895) qui dépeint la conversion au catholicisme de deux frères protestants, Auguste» et Roberto, les personnages n'ont qu'une valeur symbolique et sont dépourvus de toute crédibilité7.

Les deux frères apparaissent comme un double du narrateur, et l'intention toujours très orientée de leurs propos annule toute interprétation différente du texte. Cette absence de densité narrative est, sans aucun doute, une des caractéristiques majeures de cette littérature. Pour Antonia Rodríguez de Ureta, le roman, genre voué à un succès certain, est un prétexte pour faire une leçon de morale: les limites entre écriture romanesque et écriture pédagogique sont extrêmement ténues.

Manuels de savoir-vivre, traités de bonne conduite de ces femmes de lettres catholiques vulgarisent une discipline où coexistent exigences spirituelles et contraintes domestiques. Avec la minutie digne d'un confesseur, elles établissent un scrupuleux équilibre entre pratiques du foyer et pratiques religieuses, seule «garantie éthique de la valeur sociale féminine» (Di Giorgio, 1991, p. 193). Cette littérature porteuse de l'idéologie domestique était certainement appréciée d'un public féminin issu de classes sociales relativement aisées: femmes de la bourgeoisie d'une société industrielle émergente pour lesquelles l'espace familial est le nouveau terrain à conquérir; femmes de l'aristocratie pour lesquelles l'industrieuse morale domestique est un garde-fou contre l'oisiveté et la rêverie.

Dans Clemencia (1856), Fernán Caballero, donne en exemple à ses lectrices le comportement «typique» de Constancia: blessée par une passion amoureuse malheureuse, cette dernière se réalise enfin pleinement dans la gestion de la domesticité, les soins à sa mère malade et les multiples œuvres de bienfaisance. Cet emploi du temps d'une femme chrétienne et pieuse est réglé avec une sainte exactitude. La portée extrêmement réduite des thèses de Fernán Caballero en matière d'éducation féminine transparaît dans de nombreux autres textes de cette romancière. Dans un prologue des œuvres de Pilar Pascual de San Juan, l'auteur de La Gaviota expose ses convictions sur la subjectivité et la vulnérabilité féminines. Dès son plus jeune âge, les jeunes filles doivent apprendre à faire preuve de soumission, de docilité et leur éducation doit respecter les limites qui leur sont imposées:

«[...] recomendamos la obediencia y la sumisión, la santa y civilizadora sumisión, la más dulce de las virtudes, la más útil de las enseñanzas, fuente de paz interna y externa [...]. Si nos atreviésemos a añadir nuestro parecer sobre el modo de ser de los padres para con las hijas, les diríamos, con tanta convicción como anhelo, que cuidasen ante todo de conservar dos cosas en sus hijas: la ignorancia de la inteligencia y la bondad del corazón».


(Caballero, 1875, p. 8)                


L'incursion de ces femmes dans un domaine jusqu'alors essentiellement masculin, la création littéraire, était donc limitée et toujours, en «liberté surveillée». Les éloges et l'acceptation nuancée dont certaines de ces femmes bénéficièrent en faisaient une exception dans la vie culturelle de leur époque. Mais cette insertion indirecte n'impliquait aucun changement notoire de leur statut de femme. Bien souvent ces auteurs, à l'origine d'une abondante production, se contentèrent de reproduire les interdits culturels, sociaux et même biologiques qui imprégnaient le discours masculin. La mise en garde que traduisait leur littérature était toujours morale et jamais sociale. La production romanesque des auteurs cités jusqu'à présent contribua à l'élaboration du modèle idéal de «l'ange domestique», qui reposait sur une discrimination rigide des fonctions et attributs féminins. Les propos non dénués de lucidité de María del Pilar Sinués, désireuse d'obtenir une timide amélioration de la condition des femmes, révèlent l'énorme distance qui restait encore à parcourir. En effet si l'accès des femmes à certaines connaissances et compétences n'était plus un sujet tabou du moins dans certaines classes sociales, ce début «d'émancipation» était rigoureusement limité. Preuve en est la distinction parfois sibylline entre éducation et instruction:

«Repetiré, pues, lo que ya he dicho, y no os extrañe que insista en ello; creo que para elevar algun tanto la triste, la precaria situación de vuestras hijas, creo que para formar a la mujer, son precisas dos cosas: educación e instrucción. [...] La educación forma el corazón, eleva el alma por medio de la enseñanza de la ley moral [...]. La instrucción adorna la inteligencia de conocimientos útiles, y da los medios de que una mujer se gane la vida con decoro e independencia. [...] ¡Cuántas desdichadas hubieran evitado el primer escollo si hubieran tenido medios de ganarse la vida!»


(Sinués del Marco, 1877, pp. 396-397)                


Les propos parfois contradictoires de cet auteur qui revendique à la fois l'épanouissement «contrôlé» de la femme par le biais de l'écriture et la soumission au modèle traditionnel de féminité, éclairent les relations ambiguës qui unissent les femmes à la religion: celle-ci est une chape de plomb qui pèse sur le sexe féminin mais elle leur apporte parfois aussi consolation et secours. Ainsi la féminisation du catholicisme au cours du XIXe siècle acquiert une double dimension: c'est un embrigadement mais c'est aussi une plus grande prise d'influence.




Une écriture sous haute surveillance

Les préjugés profondément ancrés de l'époque selon lesquels féminité et génie créateur étaient incompatibles transparaissent dans la présentation que font les romancières elles-mêmes de leur œuvre.

Les extrêmes précautions que prennent Pilar Sinués, Ángela Grassi, Faustina Sáez de Melgar ou Aurora Lista pour circonscrire le contenu de leurs romans est symptomatique.

Les romans de Sinués, aux titres évocateurs: Premio y castigo (1857), No hay culpa sin pena (1864), El alma enferma (1864), Querer es poder (1865), Volver bien por mal (1872) ou La misión de la mujer (1886) publiés dans la Biblioteca moral y recreativa et réédités au moins quatre fois, portent la précision de roman moral ou original, label d'orthodoxie indispensable pour se démarquer de la production romanesque irréligieuse et étrangère. Il en va de même pour les romans de Lozano de Vilches: Juan, hermano de los pobres (1867), La misión de una madre (1867) ou encore Juicios de Dios (1860). Quant à Aurora Lista, romancière populaire qui se fit surtout connaître par des feuilletons publiés dans la Revista Popular et La Hormiga de Oro, sa production romanesque reconnue pour «sa scrupuleuse moralité et orthodoxie» est une authentique glose des textes religieux. Il y avait peu de risques pour que le public catholique de l'époque se fourvoie à la lecture des titres de ces fables didactiques: Los diez mandamientos: no matarás (1890), No cometerás pecado de impureza (1890), Fe, esperanza y caridad (1887) qui fut réédité pour la troisième fois en 1950, La intercesión de un ángel (1896). Tous ces ouvrages furent d'ailleurs publiés dans la Biblioteca del Hogar et distribués par la Tipografía Católica de Barcelone8.

La plupart de ces auteurs femmes font d'ailleurs preuve d'une extrême modestie (féminité exige!) lorsqu'elles évoquent leur rôle d'écrivain. Dans le prologue de plusieurs de ses ouvrages, Pilar Sinués affirme qu'elle est avant tout «une amie attentive, une confidente» qui a mis sa plume au service des autres femmes. Pudeur et réserve, de mise chez la romancière catholique qui veut apparaître avant tout comme bonne chrétienne, se retrouvent chez Ángela Grassi qui définit ses propres romans et ceux de ses contemporaines comme des «libros de estudio». En outre, nombreuses sont celles qui empruntent un pseudonyme comme Matilde Troncoso de Oíz, Luisa Torralba de Martí dont les identités respectives sont «Raquel», «Aurora Lista». D'autres cas moins connus dans la littérature de l'époque sont ceux de María Ruiz Tordesillas qui publie sous le nom de «Una asociada al Rosario Perpetuo» ou de Victorina Saenz de Tejada (1841-1883) connue comme «Una hija de María», ou «Sor María de los Ángeles».

Les réticences à se laisser aller à l'écriture comme un acte de création sont aussi très marquées chez une autre femme écrivain particulièrement populaire: Cecilia Böhl de Faber ou Fernán Caballero (1796-1877). Cet auteur dont les ouvrages étaient, aux yeux de la critique littéraire catholique, «buenos libros y buenas obras», prend en effet soin d'atténuer la portée de son œuvre romanesque. Les précautions adoptées par Fernán Caballero pour caractériser ses ouvrages ne peuvent être pleinement comprises qu'en tenant compte de l'idéologie traditionaliste et réactionnaire qui est la sienne. Pour cet auteur, dont les premières tentatives littéraires de 1855, Elia et La familia de Alvareda, ne furent publiées et connues que plus tardivement, le roman n'était un genre acceptable qu'à certaines conditions bien précises9. Parmi les règles auxquelles devait se plier ce type de littérature prédominent bien sûr la tendance didactique et édifiante, ainsi que la volonté de susciter une adhésion affective chez le lecteur:

«Mi intención supera mucho a la de hacer novelas... Es la rehabilitación de cuanto con grosera y atrevida planta ha hollado el nunca bien ponderado siglo XIX. Rehabilitación de lo santo, de lo religioso, de las prácticas religiosas y su alto y tierno significado; de las costumbres españolas puras y rancias [...], del freno en todo, y sobre todo en esas ridículas pasiones que se afectan sin sentirse...»


(Caballero, 1858, pp. 9-10)                


Cette dévalorisation du roman en général et plus particulièrement de l'œuvre «romantique» qui laisse libre cours à l'expression des sentiments et passions transparaît constamment dans l'œuvre de Cecilia Böhl de Faber et dans les prologues de ses ouvrages. Il s'agissait non seulement de justifier sa propre pratique littéraire qui devait se situer aux antipodes des romans «vénéneux et corrosifs» de son époque mais aussi de légitimer certains auteurs femmes en délimitant scrupuleusement les limites du discours féminin.

La captation d'une Espagne éternelle et figée dans ses coutumes qui débouchait inévitablement sur une vision idéalisée, immobiliste des êtres et des choses s'inscrivait, aux yeux de Fernán Caballero, dans un ordre naturel et social inaltérable. La réhabilitation morale et religieuse revendiquée à ce titre pouvait justifier l'élaboration d'un «anti-roman» qui fixerait un univers immuable. En faisant de ses romans «una escuela práctica de virtud», en proposant une littérature fruit de «l'instinct plus que de l'art, de l'érudition ou de l'étude», Fernán Caballero tentait de concilier ce qui à ses propres yeux et à ceux de la société à laquelle elle appartenait, pouvait paraître irréconciliable: création et condition féminine.

Dans l'insistance pudique avec laquelle Fernán Caballero tente d'amortir l'importance de son œuvre romanesque, affleurent la volonté de justifier une transgression des rôles et celle de légitimer un genre littéraire conforme à son idéologie traditionaliste.

La forme romanesque est donc, comme le dit l'auteur lui-même, «un prétexte» pour capter des valeurs essentielles. Cette recherche presque archéologique d'un univers menacé de disparition aboutit à une œuvre dans laquelle les transgresseurs de l'ordre social et surtout moral sont inéluctablement châtiés. Le propos exclusivement moralisateur de ce roman de mœurs «passées» n'échappe pas à la critique catholique de l'époque qui ne cessera de louer une œuvre marquée de l'empreinte de «la délicatesse féminine» et destinée à:

«[...] ejercer la más sana influencia en el interior de las familias y en la verdadera y legítima reforma de la sociedad, estudiando en lo que ha sido y es ahora, lo que debe ser para lo futuro».


(La Ilustración Católica, 14 avril 1880, p. 303)                


Constamment Fernán Caballero tente de forger, en tant qu'écrivain, une image d'elle-même et de son œuvre qui puisse être justifiée dans le monde littéraire. Véritable antidote contre les feuilletons qui distillent «venin et passion», les romans de Caballero veulent être «une description de la vérité et de la simplicité du mode de vie et des valeurs authentiquement espagnols».

Cette volonté de n'utiliser sa plume que pour dépeindre la réalité le plus exactement possible est réitérée à maintes occasions par Cecilia Böhl dans les prologues de ses romans. Sous la modestie affichée d'un auteur femme qui tente de réduire son œuvre à une simple réplique du monde environnant, transparaissent d'autres finalités: la représentation nostalgique d'un univers traditionnel, menacé de disparition permettait à Böhl de concilier ses exigences morales et littéraires. En démontrant, à travers l'élaboration de son œuvre, que moralisme didactique et observation «réaliste» n'étaient pas incompatibles, cet écrivain reprenait à son compte la formule du roman édifiant dans lequel la thèse religieuse absolvait toute fantaisie littéraire.

Böhl de Faber pouvait ainsi doublement justifier l'acte d'écrire: en tant que femme, elle reproduisait les représentations et le discours traditionnels, en tant qu'écrivain, elle se contentait -du moins l'affirmait-elle- de mettre sa plume au service d'une cause.

Dans ses nombreux romans, Fernán Caballero respecte scrupuleusement les limites qu'elle s'était imposées: dans l'univers féminin qu'elle dépeint, prédomine «el ángel del hogar» dont l'abnégation et l'humilité étaient en tout point conformes au modèle féminin de la culture catholique. Face à ces types exemplaires doués de sentiments chrétiens surgissent celles qui d'une façon ou d'une autre transgressaient les limites morales qui leur étaient imposées. María Santaló dans La Gaviota, les personnages de Rita dans La Familia de Alvareda et Alegría dans Clemencia incarnent ces «amazonas» à la recherche des plaisirs et de la gloire, l'anti-idéal féminin que la romancière condamnera sans appel10.

En utilisant le roman pour proposer à leurs lectrices le seul idéal féminin auquel elles pouvaient aspirer, ces femmes romancières semblent vouloir légitimer leur incursion dans le domaine de la littérature jusqu'alors presque toujours exclusivement réservé aux hommes. Le dénouement exemplaire de nombre de ces œuvres, par ailleurs contaminées par le discours des manuels pédagogiques, obéit à la fois aux impératifs du genre édifiant et à ceux de l'autocensure que ces écrivains exercent par rapport à leur écriture. En faisant systématiquement la part belle à la pédagogie et à la doctrine, il s'agit de neutraliser les aspects subversifs du genre romanesque. Sommaires, avertissements et effets d'annonce sont autant de garde-fous qui orientent la lecture et pèsent sur l'œuvre. Une autre conséquence évidente de l'assujettissement du texte à l'idée est la présence fréquente des signes au lecteur. En tant que moralisatrices et pédagogues, ces romancières établissent un rapport de «destination» entre elles et leurs lectrices. Le récit est souvent interrompu pour laisser place à des interpellations ou injonctions aux jeunes filles, aux mères de famille.

Cette inclusion d'un texte dans le texte, pris en charge par l'héroïne principale, véritable double de l'auteur, est fréquente dans le roman édifiant du XIXe siècle. María del Pilar Sinués, Ángela Grassi délèguent ainsi leur discours à des héroïnes féminines au détriment de la densité psychologique et de la vraisemblance des personnages.

La multiplication de ces relais, la signature idéologique qui marque le récit, la volonté affichée de produire des vérités pèsent sur l'œuvre en lui ôtant densité et en l'empêchant «d'essaimer» (Barthes, 1984, p. 241).

Cette écriture sous «haute surveillance» est maintenue pure de toute transgression, de tout désir.








Bibliographie

  • Barthes, Roland: Essais critiques IV. Le bruissement de la langue, Paris, Seuil, 1984.
  • Caballero, Fernán: Lágrimas, Madrid, Establecimiento Tipográfico de Mellado, 1858.
  • Di Giorgio, Michela: «La bonne catholique», in Histoire des femmes au XIXe siècle, Paris, Plon, 1991, pp. 170-197.
  • Grassi, Ángela: El copo de nieve, Madrid, Editorial Castalia, 1992.
  • Kirkpatrick, Susan: Las románticas. Escritoras y subjetividad en España, 1835-1850, Valencia, Ediciones Cátedra, 1991.
  • Pascual de San Juan, Pilar: Los deberes maternales. Cartas morales de una maestra a una madre de familia sobre la educación de la mujer, Barcelona, Librería de Juan y Antonio Bastinos, 1878.
  • Rodríguez de Ureta, Antonia: Andrea o la hija del mar, Imprenta de La Semana Católica de Barcelona, 1896.
  • Sánchez Llama, Íñigo: «Introducción y notas», in El Copo de Nieve, Madrid, Editorial Castalia, 1992.
  • Simón Palmer, María del Carmen: Escritoras españolas del siglo XIX. Manual bio-bibliográfico, Madrid, Editorial Castalia, 1991.
  • Sinués del Marco, Pilar: Un libro para las madres, Madrid, Imprenta de Aribau y , 1877.
  • Sinués del Marco, Pilar: La misión de la mujer, Barcelone, Salvador Manero, 1908.
  • Sinués del Marco, Pilar: El ángel del hogar, Madrid, Imprenta Nieto y Cª, 1859.


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