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La Bible dans les littératures du monde. Espagne 5- XIXe siècle

Solange Hibbs-Lissorgues

Au XIXe siècle, en Espagne, et depuis 1559, il était impossible d'accéder à une version de la Bible en langue vulgaire. L'importance de la Bible dans les milieux éclairés du XVIIIe siècle et l'intérêt que pouvait susciter un accès direct au texte sont des facteurs déterminants pour les nouvelles traductions et leur diffusion à la fin du XVIIIe siècle et surtout au début du XIXe. Le désir de retrouver la pureté primitive de l'Église, de lutter contre la superstition, la volonté de libérer l'Église espagnole de sa dépendance par rapport à Rome constituent un terreau propice pour les traductions de la Bible en castillan. On ne peut faire abstraction de cet environnement culturel et religieux favorable des dernières décennies du XVIIIe siècle si l'on veut apprécier à sa juste valeur l'entreprise de traduction des Saintes Écritures qui se développe avec une particulière vivacité dans la première moitié du XIXe siècle.

D'autres éléments importants favorisent l'accès en castillan au texte biblique. Dès 1757, le pape Benoît XIV avait ratifié un décret de la Sainte Congrégation de l'index qui révoquait la règle IV de l'index des livres interdits du concile de Trente, permettant ainsi que des versions de la Bible en langue vulgaire (accompagnées de notes des Saints Pères et Docteurs de l'Eglise) soient approuvées par le Saint-Siège. Mais ce n'est vraiment que sous le pontificat de Pie VI, et plus précisément à partir de 1782, que diverses versions du latin en castillan voient le jour et sont diffusées dans toute l'Espagne. Sans aucun doute le fait que le tribunal de l'inquisition fut présidé par un évêque éclairé, Felipe Bertrán, évêque de Salamanque, contribua à une plus grande bienveillance quant à la traduction de la Bible.

Parmi les traductions des Écritures saintes, à la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle, mentionnons la traduction des Psaumes (Madrid, 1785), des Proverbes (Madrid, 1785), une première traduction de l'Ecclésiaste en 1786, suivie, en 1789, par celle de la Sagesse (Madrid, 1789) par Ángel Sánchez (1727-1803). En 1799, fot publiée à Madrid la traduction du Psautier par Pedro Antonio Pérez de Castro et en 1800 et 1801 parurent également à Madrid deux autres versions des Psaumes redevables à Pablo de Olavide y Jáuregui (1725-1803) et à Diego Fernández respectivement.

Les versions des Psaumes furent nombreuses et ces dernières constituèrent une référence particulièrement fréquente pour la littérature du XIXe siècle. À celles antérieurement citées, il convient d'ajouter la traduction du médecin aragonais et bibliothécaire de l'Académie royale d'histoire Joaquín Traggia Uribarri (1743-1813). C'est la seule version castillane traduite directement de l'hébreu. D'autres traductions des Psaumes connurent un succès durable dû à leurs qualités littéraires. C'est le cas des traductions de José Virués y Spinola, et surtout de Tomás Gonzalez Carvajal (1747-1834), de Felipe Scio de San Miguel (1738-1786), premier traducteur catholique de la Bible dans son intégralité, de Juan Manuel Bedoya (1770-1850) et de Félix Torres Amat (1772-1843), évêque d'Astorga.

Il est important de s'attarder sur les traductions de la Bible, Psaumes compris, de Felipe Scio, confesseur de Ferdinand VII, et de Félix Torres Amat car leurs traductions furent celles qui connurent la plus grande diffusion au XIXe siècle. Felipe Scio de San Miguel, afin d'honorer une commande faite en 1770 par Manuel de Roda, secrétaire d'Etat du roi Charles III, propose en 1790 la traduction complète de la Vulgate latine. Les dix tomes de la Bible traduite de la Vulgate latine furent publiés de 1790 à 1793. Le traducteur prend soin de préciser que ce trésor universel non seulement enrichit la langue castillane mais permet aussi de perpétuer la religion catholique, d'encourager la dévotion et d'approfondir la connaissance de la doctrine contenue dans les Saintes Écritures. Cette traduction, qui connut un grand succès éditorial et commercial, permit enfin aux lecteurs espagnols d'avoir un accès direct aux Saintes Écritures. Une réédition de cette Bible fut publiée en 1809 par l'éditeur Gaspar y Roig.

Quant à Félix Torres Amat, dont la culture est imprégnée de l'époque de la Ilustración (époque des Lumières), il commence à travailler, en 1808, à la demande de Charles IV, sur la traduction en espagnol de la Vulgate latine. Il s'inspire pour cela d'un manuscrit du jésuite José Petisco et termine la traduction en 1822. Une deuxième édition voit le jour en 1835. Il s'agit, selon ses propres mots, de proposer une version littérale mais aussi «libre ou rationnelle», c'est-à-dire qui ne soit pas asservie à la lettre. Cette deuxième version connut une extraordinaire diffusion au XIXe siècle et, en 1873, une édition avec des illustrations de Gustave Doré fut publiée à Barcelone par Montaner y Simón.

La littérature de fiction du XIXe siècle reflète la prise de conscience de la valeur culturelle des thèmes bibliques et de leur filiation avec la tradition littéraire antérieure. Qu'il s'agisse de la référence à des épisodes et personnages bibliques précis ou de la dense intertextualité (citations de la Bible, paraphrase, réminiscences), la référence à la Bible remplit à la fois une fonction esthétique et une fonction religieuse.

La présence de la Bible se justifie non seulement parce qu'elle est considérée comme le fondement des sociétés chrétiennes mais également pour des raisons de prestige poétique et littéraire. La matière biblique représente la continuité, la persistance d'un imaginaire collectif qu'il convient de préserver pour des raisons historiques, littéraires et sociopolitiques.

La Bible dans la littérature romantique (1820-1860)

Comme pour l'ensemble de la production du XIXe siècle, c'est l'Ancien Testament qui reste la source principale d'inspiration. Parce qu'ils se prêtent à une réélaboration poétique et constituent un matériau fécond pour la naissance de mythes littéraires, les textes privilégiés sont ceux de la Genèse, de l'Exode, des livres poétiques et sapientaux, plus particulièrement le livre de Job, les Psaumes, le Cantique des cantiques et la Sagesse. Dans les livres historiques, les personnages de Ruth et de Judith font l'objet d'une attention constante, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer la femme forte. Dans le Nouveau Testament, les évangiles de Marc et de Luc sont une source d'inspiration littéraire.

Dans un contexte religieux où le courant chris-tocentrique est revivifié par des sources diverses, l'accent est mis sur le sacrifice et les souffrances du Fils de Dieu. Il n'est donc pas étonnant que les événements de la crucifixion, de la mort et de la résurrection du Christ suscitent un engouement particulier. Il convient de remarquer que la vitalité d'une spiritualité centrée sur le Christ touche à la fois la sensibilité populaire et celle de la bourgeoisie. C'est ainsi que se diffuse largement, au cours du XIXe siècle, l'image d'un Christ ennemi des inégalités, proche de tous les hommes mais aussi rempart contre la pénétration des idéaux révolutionnaires.

La revalorisation de la figure de Jésus-Christ explique en grande partie le caractère messianique de certains personnages de la période romantique et plus précisément dans le théâtre.

Le théâtre

La réélaboration littéraire du personnage du Christ rédempteur imprègne un large éventail d'oeuvres théâtrales dont certaines méritent une attention particulière. Il s'agit de pièces écrites entre 1822 et 1864: Lanuza, 1822, et Don Álvaro o la fuerza del sino (1835) (Don Alvaro ou la force du destin) de Ángel de Saavedra, duc de Rivas (1791-1865); La conjuración de Venecia (1830) (La Conjuration de Venise) de Francisco Martínez de la Rosa (1787-1862); El trovador (1836) [Le troubadour] et Juan Lorenzo (1865) de Antonio García Gutiérrez (1813-1884); Baltasar (1858) de Gertrudis Gómez de Avellaneda (1814-1873); El padre de los pobres (1860) [Le père des pauvres], La payesa de Sarriá (1860) [La paysanne de Sarria] et Grazalema, oeuvre moralisante de Luis de Eguilaz (1830-1874). Dans ces pièces, les héros ou antihéros sont élus par le peuple, choisis par Dieu et leur parcours rappelle celui du Christ: ils sont investis d'une mission divine, sont jugés et condamnés et, suite à leur «crucifixion», une nouvelle vie ou «résurrection» s'oflre à eux. Qu'il s'agisse d'une parodie satanique de la vie et des miracles du Christ ou de la construction d'un mythe fondé sur la dimension messianique du Christ, les analogies avec la Bible sont nombreuses. Cependant trois oeuvres reflètent essentiellement l'empreinte des Saintes Écritures: La conjuración de Venecia (La Conjuration de Venise), Don Álvaro o la fuerza del sino (Don Alvaro ou la force du destin), oeuvres précédemment citées, et Don Juan Tenorio (1844) (Don Juan Tenorio) de José Zorrilla (1817-1893). Ces trois pièces s'inscrivent dans la période connue sous le nom de la «décennie prodigieuse» du théâtre romantique (1833-1844).

Dans La conjuration de Venecia, le personnage de Rugiero, libérateur du peuple opprimé, apparaît comme un «messie» qui revendique sa double filiation: un père humain et un Père divin. L'oeuvre renvoie explicitement à la scène du jugement du Christ interrogé par Ponce Pilate. Deux autres personnages qui accompagnent Rugiero dans son agonie, Laura et Matilde, font clairement référence à Marie et Marie-Madeleine. La passion et la mort du Christ ont une résonance particulière dans Don Álvaro o la fuerza del sino, pièce dans laquelle Don Álvaro, comme le Christ, envoyé de Dieu, est investi d'une mission. Il bénéficie aussi de la double paternité humaine et divine. Dans le cas de Don Juan Tenorio, le séducteur est un antéchrist, satanique qui donnera lieu à l'émergence d'un mythe littéraire, mais la fonction purificatrice du personnage féminin, Dona Inès, assimile cette dernière à la Vierge Marie. Dans toutes ces oeuvres les héros sont des personnages rebelles que la littérature romantique exalte pour leur fonction rédemptrice.

La poésie

C'est cette même dimension qui est présente chez les représentants les plus significatifs de la période romantique. Parmi les oeuvres paradigmatiques en ce qui concerne les références aux Saintes Écritures, il convient de citer celles de José de Espronceda (1808-1842). À partir de 1837, le mythe du paradis perdu se retrouvre dans ses oeuvres de façon récurrente. Dans El estudiante de Salamanca (1836-1841) (L'Étudiant de Salamanque) où s'exprime la douloureuse quête d'un absolu qui n'est autre que la nostalgie du paradis perdu, Félix de Montemar est une incarnation à la fois de l'Antéchrist et du Christ. Les évangiles évoquant les derniers moments de la vie de Jésus sont très présents dans ce poème avec des citations de l'évangile de saint Marc. Dans El diablo mundo (1840) (Le Monde-Diable), oeuvre de maturité d'Espronceda, la Genèse et plus précisément les personnages d'Adam et d'Ève constituent le fil directeur du poème. Dans cette oeuvre inachevée, où Espronceda fait une lecture ironique de certains passages de la Bible, les multiples références à la Genèse et à l'Apocalypse créent un tissu intertextuel dense. Le nom du personnage principal, Adam, renvoie explicitement aux premiers versets de la Genèse. Cette intertextualité à visée ironique et parfois même parodique se retrouve dans l'oeuvre en prose de cet auteur.

La prose

Dans Sancho Saldana (1834) - du même Espronceda -, roman historique qu'il convient de replacer dans la production romanesque de l'époque romantique, les allusions à la Genèse et les citations présentes dans le texte mettent en relief la nature «démoniaque» et négative de la femme, pécheresse qui entraîne l'homme sur la voie du mal.

Dans ce qui est considéré comme le prototype du roman historique, El Señor de Bembibre (1844) [Le seigneur de Bembibre] de Enrique Gil y Carrasco (1815-1846), les références à la Bible avec une prédilection particulière pour les Psaumes, le livre de Job et le Cantique des cantiques servent à la fois de guide de lecture et d'interprétation. Un seul exemple suffit à illustrer l'importance de la Bible dans cette oeuvre. Il s'agit du «livre de mémoires» du personnage féminin Doña Beatriz qui cite des passages et versets du livre de Job et surtout du Cantique des cantiques, texte qui exalte l'amour et qui rapproche clairement dans ce cas l'amour divin de l'amour humain.

Un autre auteur important de cette première moitié du XIXe siècle est Mariano José de Larra (1809-1837) dont l'oeuvre en prose, qui reflète la filiation érasmiste de sa pensée et ses convictions en faveur d'une religion authentique fondée sur la tolérance et la liberté de conscience, est imprégnée de références bibliques. Dans sa production journalistique, la parodie du langage biblique a une intention explicitement politique: il s'agit de montrer l'hypocrisie de ceux qui ne sont pas capables de concilier leurs croyances et leurs actes.

La Bible dans la littérature réaliste (1868-1900)

L'observation aiguë de la réalité et la volonté des romanciers de s'en inspirer pour représenter dans leurs écrits toute la complexité de la vie et de la société contemporaine constituent le soubassement de la littérature réaliste, dont les représentants les plus exemplaires en Espagne dans la deuxième moitié du XIXe siècle sont Juan Valera (1824-1905), Benito Pérez Galdós (1843-1920), Leopoldo Alas dit Clarín (1852-1901) et Emilia Pardo Bazán (1851-1921), sans oublier d'autres écrivains comme José María de Pereda (1833-1906).

L'univers littéraire de ces écrivains reflète la très grande richesse des sources dont elle se nourrit : la tradition classique, la littérature espagnole du Siècle d'or, mais aussi la Bible. Les oeuvres réalistes, sans renier leur vocation essentielle fondée sur l'observation et la représentation de l'homme et de la société contemporaine, sont tissées d'intertextualités et de références aux Saintes Écritures. La place et l'importance de la Bible dans la production de ces auteurs doivent être appréciées en fonction de leur engagement et de leur évolution tant littéraires qu'intellectuels et idéologiques.

Un des exemples significatifs d'une oeuvre où la prégnance de la Bible est particulièrement décelable est celle de Juan Valera, en particulier Pepita Jiménez (1874). Ce roman, qui décrit le conflit entre la vocation religieuse et l'inclination amoureuse d'un jeune séminariste, Luis de Vargas, est construit comme un tryptique épistolaire où les références constantes à l'Ancien et au Nouveau Testaments structurent le texte. Les sources essentielles sont les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean, l'Apocalypse, les Psaumes et l'Ecclésiaste.

Qu'il s'agisse de citations directes ou d'une réappropriation du texte biblique avec une finalité ironique, le processus de doute et de perte de la foi de Luis est rythmé par les personnages, les thèmes et les passages de la Bible auxquels se réfère le séminariste. Juan Valera utilise explicitement le livre de Judith (13, 6-11) et celui des Juges (4, 17-22), ainsi que le livre du prophète Isaïe pour souligner le conflit entre les aspirations mystiques et les réalités humaines.

Chez Leopoldo Alas dit Clarín, grand écrivain espagnol du XIXe siècle et universellement connu pour son roman La Regenta (1884-1885) (La Régente), la Bible constitue une des bases culturelles fondamentales. Dans La Regenta, les lectures de la jeune Ana Ozores, qui emprunte les livres de la bibliothèque de son père, ont un dénominateur commun qui est la Bible. La jeune femme se nourrit des lectures de sainte Thérèse. Le style de Clarín est pétri d'allusions bibliques qui semblent surgir spontanément comme éléments intertextuels introduits selon le mode de la comparaison ou celui de la métaphore au moment opportun pour donner hauteur et profondeur à une situation donnée. Par exemple l'évocation de la souffrance résignée est systématiquement transposée à l'image de Job. Les évangiles de Luc et de Matthieu nourrissent l'intertextualité d'un roman comme Su único hijo (1891) (Son fils unique) dans lequel Clarín reprend les termes et les images de l'Annonciation. Ce fils tant attendu par Bonifacio Reyes est celui qui permettra la rédemption du père. Le nom d'Isaac et toutes les références symboliques qui s'y rattachent renvoient au premier livre du Pentateuque et au récit de la descendance d'Abraham (Gn 16-17).

La densité culturelle et parfois religieuse de cette intertextualité se retrouve dans les contes de Clarín où l'évocation de la souffrance est associée à une quête spirituelle et à un dépassement de soi. Dans Cambio de luz (1893) (Une autre lumière), le protagoniste, Jorge Arial, qui s'est réfugié dans le travail et l'amour de la famille, devient aveugle. Cette cécité qui l'éloigne du monde physique remplit son âme d'une autre lumière et il retrouve la foi authentique, fondée sur l'amour et la tolérance. Sans aucun doute le nouvel état du personnage est à rapprocher de la conversion de saint Paul. La cécité comme métaphore d'une nouvelle vie spirituelle est présente dans un autre récit, El Señor (1892) (Le Seigneur), où le prêtre Juan de Dios accepte la souffrance comme une étape de cette nouvelle quête.

Les intertextes bibliques constituent la trame essentielle et dense des oeuvres d'une romancière comme Emilia Pardo Bazán, dont les convictions et la foi religieuses ne sont pas incompatibles avec une vision résolument engagée et moderne des questions de son époque, comme celle de la femme, ou des rapports entre science et religion. Cette romancière, auteure d'une abondante production de contes et d'articles publiés dans la presse, reconnaît qu'une de ses lectures privilégiées est celle de la Bible, avec une prédilection marquée pour la Genèse, l'Exode et les histoires d'Esther et de Ruth. Parmi ses lectures citons la traduction de l'hébreu du livre de Job par Fray Luis de León (1527-1591) et une édition du Cantique des cantiques, traduite de l'hébreu, de 1860, avec une préface d'Ernest Renan, un des auteurs les plus lus par les écrivains du XIXe siècle.

Emilia Pardo Bazán utilise les textes sacrés en jouant sur de multiples registres -réminiscences, citations, paraphrases, comparaisons et réélaborations de certains thèmes bibliques- qui témoignent de sa profonde connaissance des textes sacrés. Deux romans sont exemplaires quant à l'intertextualité biblique: Los pazos de Ulloa (1886) (Le Château d'Ulloa) et La madre naturaleza (1886-1887) (La Mère Nature).

Dans ces deux textes les références à la Bible, surtout à l'Ancien Testament, permettent de donner une plus grande épaisseur humaine et spirituelle à certains personnages. Les deux personnages principaux du deuxième roman, Perucho et Manolita, apprennent à lire avec le Cantique des cantiques. La vision pessimiste de la condition humaine, altérée par le péché originel, renvoie au récit de la Genèse; par ailleurs les personnages de Ruth et d'Esther, femmes fortes mais aussi empreintes de pathétisme, sont très présents dans Los pazos de Ulloa, mais aussi dans d'autres romans comme La prueba (1890) (L'Epreuve) et Memorias de un solterón (1896) [Mémoires d'un célibataire]. Certains des contes de son abondante production comme par exemple Ciclos de Adan y Eva [Cycles d'Adam et Ève], Cuentos sacro-profanos (1899) (Contes sacrés et profanes) s'inspirent surtout du Nouveau Testament, référence fondamentale à cause leur dimension exemplaire et morale. Certains personnages bibliques sont privilégiés, à savoir Marie-Madeleine, Sara, Hagar et Judas. Dans le cas des contes, Historias y cuentos de Galicia (1888) (Contes de ma terre), certains épisodes s'inspirent explicitement de la crucifixion et de la mort du Christ.

Quant à José Maria de Pereda, romancier dont la production d'inspiration régionaliste est fortement imprégnée des valeurs traditionnelles de l'Espagne et d'un catholicisme orthodoxe, son oeuvre s'inscrit également dans la période réaliste. Dans son abondante production romanesque, certains romans sont empreints d'intertextes bibliques où les traces de l'Ancien Testament, des Psaumes et des épîtres de saint Paul sont explicites. Sous forme de citations, de paraphrases et de métaphores, Pereda exprime son attachement à un monde où la religion est un rempart contre les bouleversements et les mutations, idéologiques ou religieuses. La minéralité de l'environnement naturel et des montagnes de Tal Palo, tal astilla (1880) (Tel père, tel fils), et Peñas arriba (1895) (Montant vers les sommets) renvoie au parcours initiatique du Christ et d'autres romans comme Pedro Sánchez (1883), Sotileza (1885), sont riches en références à la Genèse et aux Psaumes.

Pour les écrivains cités, la Bible représente un fonds inépuisable à la fois religieux et culturel et les textes évoqués sont un espace où des écritures multiples, influencées par des traditions littéraires et des cultures différentes, constituent de véritables palimpsestes.

  • OLMO LETE, G. DEL (ed.) et SOTELO VÁZQUEZ, A. (coord.), La Biblia en la literatura española, III. Edad moderna, Madrid, Trotta, 2010.
  • SÁNCHEZ CARO, J. M., La aventura de leer la Biblia en España, Salamanca, Universidad Pontificia de Salamanca, 2000.
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