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La «cartilla» et sa distribution au XVIIIéme. Siècle

Jaime Moll





La «Cartilla» ou abécédaire c'est, selon le premier Dictionnaire de l'Académie (Diccionario de Autoridades), seconde acception du mot, «le livret imprimé où l'on trouve les lettres et les premiers rudiments pour apprendre à lire», définition pratiquement conservée telle quelle dans la dernière édition du Diccionario de la Real Academia Española, «petit cahier imprimé qui renferme les lettres de l'alphabet et les premiers rudiments pour apprendre à lire»1. Elément fondamental dans l'apprentissage de la lecture, la cartilla, déjà employée avant l'invention de l'imprimerie, voit, avec l'essor de cette dernière et de l'alphabétisation, son usage dès l'abord se généraliser et son contenu se fixer dans les lignes générales, un contenu parfois augmenté de la façon suivante: abécédaire, syllabaire et, première application pratique, enseignement des prières les plus simples et les plus répandues, ainsi que quelques rudiments de catéchisme et la table de Pythagore. La pratique ultérieure de la lecture revêtait des formes plus variées, puisque, parmi d'autres éléments, on introduisait des textes poétiques, surtout des romances: ainsi l'alphabétisation allait de pair avec l'apprentissage d'aspects de la vie de l'enfant. A côté des romances peu à pea se généralise l'usage d'autres textes plus nettement éducatifs.

Premier document imprimé mis à la disposition des enfants et présentant malgré les variantes, une certaine unité de contenu, vu son utlisation limitée dans le temps par des mains encore peu habiles, il est normal que l'on ait choisi à l'intérieur des possibilités techniques offertes par l'imprimerie un module simple, bon marché et maniable.

Ce qui conduit à une fixation du format et du volume, favorisée -bien que nous la trouvions antérieurement- par le monopole auquel toute la production est alors soumise: une feuille de papier de qualité, repliée trois fois, afin d'obtenir un cahier in-octavo de 8 feuillets soit 16 pages.

Une fois les formes composées (on les utilisait longtemps jusqu'à ce que les caractères s'usent) il était aisé d'imprimer ensuite sans manipulation compliquée, sans absolue nécessité de relier (bien qu'on pût vendre les exemplaires cousus et avec couverture), toute chose qui facilitait sa distribution et son maniement. Une fois remplies leurs finalités pédagogiques, peu importait leur destruction ou leur conservation. Il est inutile d'insister sur les raisons de la rareté des exemplaires conservés au cours des siècles passés, si l'on excepte ceux, peu nombreux, qui le furent parfois pour des motifs inattendus, servant à bourrer les reliures par exemple2.

Le 20 septembre 1583, Philippe II octroie au Prieur et au chapitre de la Collégiale de la ville de Valladolid un privilège de 3 ans pour «faire imprimer et débiter les abécédaires dans lesquels les enfants apprenaient à lire dans ces royaumes (de Castille)»3 afin de financer les travaux de la nouvelle église projetée par Juan de Herrera. La collégiale fut élevée le 25 septembre 1695 au rang de siège episcopal. Le privilège bénéficia, de la part de Philippe II et de ses successeurs, de continuelles prorogations, jusqu'à la dernière en date, celle du 14 octobre 1787, qui était d'une durée de 40 ans, à compter de 1788. Ce privilège mérite qu'on l'analyse avec soin puisqu'il fut considéré comme l'une des causes de la décadence de l'édition espagnole4.

Comme nous l'avons dit, la cartilla est un cahier in-octavo. Bien que le fait surprenne aujourd'hui les spécialistes des anciennes techniques d'imprimerie, la production journalière d'une presse manuelle était de 1500 feuilles (soit 3000 côtés imprimés, qui demandaient 6000 coups de presse) ce qu'on connaît sous le nom de journée5. Si cette quantité pouvait baisser un peu dans le cas de livres, l'impression répétée d'une même composition n'offrait pas de difficultés. Une presse unique pouvait imprimer par an plusieurs centaines de milliers d'abécédaires (nous ignorons le nombre de jours ou -vrables, mais il semble que les fêtes étaient nombreuses). Même s'il y avait eu une presse unique pour fournir tous les royaumes de Castille, les installations auraient pu être des plus simples et les incidences sur la production imprimée réduites. Prenons un point de comparaison: un volume de comedias comprenait, avec ses 12 comedias, environ 38 cahiers de grand format in-4°, soit 76 feuilles. Si nous prenons une édition moyenne de 1250 exemplaires, nous avons un total de 95000 feuilles, qui équivalent à un nombre égal de cartillas. Si l'on pouvait fixer le nombre de livres imprimés en un an et si l'on connaissait le nombre de cartillas également imprimées chaque année, on pourrait mettre en évidence la faible incidence de l'édition de ces dernières par rapport à l'ensemble de la production de l'imprimerie espagnole. Ce qui se passe, c'est que les plaintes élevées contre le monopole des cartillas -laissons à part pour des raisons pédagogiques celles de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle- émanent fondamentalement des libraires6. Les livres, comme on le sait, avaient un prix imposé, uniquement pour le livre en papier, c'est-à-dire en rame, ce prix étant majoré par la reliure, faite habituellement par le libraire lui-même, ce qui représentait un surcroît de travail certes, mais aussi un plus fort bénéfice.

Les cartillas se vendaient le plus souvent, comme nous l'avons signalé, sans être reliées ni cousues. De ce fait , le gain pour le libraire, qui généralement devait payer le port en sus, était minime. En outre, les cartillas formaient un marché géo-graphiquement très dispersé, ce qui exigeait qu'on les écoulât jusque dans des bourgs et des villages dépourvus de libraires; aussi les frais de distribution augmentaient-ils, les diffuseurs n'ayant le choix qu'entre accepter le prix imposé ou vendre plus cher. Nous rappellerons la plainte élevée par les Cortés de 1592-1598: «Votre Majesté fit la grâce à l'Eglise de la Cité de Valladolid de lui accorder un privilège pour l'impression des cartillas servant à apprendre à lire aux enfants ainsi que la doctrine chrétienne et, bien qu'il ait été ordonné de les taxer et qu'elle soient taxées à 4 maravedís, on les vend avec tant d'abus et de désordre qu'elles atteignent les 12 ou l6 maravédis pièce; or, étant donné que les enfants en usent tellement et que ceux qui les abîment le plus sont les fils des pauvres gens que ont besoin de cette somme supplémentaire, nous supplions Votre Majesté d'ordoner, sous peines graves, que ladite taxe soit bien observée et qu'on ne dépasse pas le prix fixé»7.

Mais il y a un autre aspect que nous désirons détacher. La finalité du privilège accordé au chapitre de Valladolid était de rassembler des fonds pour la construction de la nouvelle église. Les bénéfices devaient atteindre un certain volume pour que l'efficacité soit réelle. Pour tant que l'on augmentât la production afin de réduire les coûts, le bénéfice à l'unité pour chaque cartilla était très bas. On ne pouvait compenser que par le nombre important de cartillas vendues chaque année, ce qui suppose, dans les royaumes de Castille, l'existence d'une forte population scolaire intéressée par l'apprentissage de la lecture. Conclusion qui peut être étendue aux royaumes de la Couronne d'Aragon, où il existait également pour ces cartillas des privilèges en faveur de diverses institutions. En effet, les enfants avaient beau en «abîmer tant», ces cartillas ne représentaient qu'un élément initial de l'alphabétisation) par conséquent leur usage était relativement bref et les enfants n'avaient guère le temps d'en détruire de nombreux exemplaires. Un autre aspect de ce problème de l'alphabétisation, c'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'alphabétisation secondaire et le développement de l'habitude de la lecture, habitude qui, pour beaucoup -comme c'est le cas de nos jours-, pouvait se limiter à un type déterminé d'oeuvres qui connurent effectivement une ample diffusion, même si de rares exemplaires sont parvenus jusqu'à nous, conséquence, paradoxale en apparence, d'une grande faveur.

Dans le privilège de 1583 figure une clause qui révèle une connaissance pragmatique du marché espagnol du livre et qui, nous le verrons, sera rappelée au XVIIIème siècle en un moment de pénurie de cartillas. Le texte royal prévoit la difficulté que pourrait représenter le fait que ce soit une seule imprimerie qui se voit chargée de fournir toutes les villes et bourgades des royaumes de Castille : aussi stipule-t-il que «il devra obligatoirement y avoir possibilité d'imprimer lesdites cartillas à Burgos, Valladolid, Salamanque, Madrid et Seville». Le privilège centralise les bénéfices rapportés par les cartillasaux mains d'une seule institution, tout en décentralisant l'impression de ces cartillas. Le chapitre de Valladolid préféra cependant centraliser la production et, qui plus est, utiliser une imprimerie dont il était le propriétaire et qui sans doute ne devait disposer que d'une seule et unique presse. Dans d'autres cas, comme nous allons le voir, on opta pour la décentralisation de l'impression.

Le marché du livre en Espagne présente des caractéristiques bien particulières. Il faut avant tout ne pas oublier que, sous la maison d'Autriche, s'est conservée la personnalité des divers royaumes qui constituent la monarchie espagnole; en matière de livres ceci se traduit de façon claire par l'absence de privilèges valables pour toute l'Espagne. Si un auteur souhaite que son oeuvre soit protégée dans les divers royaumes, il doit obtenir plusieurs privilèges royaux. D'autre part, pour nous en tenir aux royaumes de Castille, il faut attendre longtemps après l'installation définitive de la Cour à Madrid pour trouver un centre d'édition qui domine vraiment le marché. Même lorsque l'édition -et partant l'industrie de l'imprimerie- s'est développée à Madrid, si la plupart des premières éditions se font bien dans la capitale, il n'en reste pas moins que l'on trouve toujours, encore qu'à un moindre titre, mention d'autres villes pour la réédition des oeuvres courantes. De plus, deux types d'oeuvres largement diffusées sont publiées dans un grand nombre de villes, car en Espagne il n'existe pas, comme par exemple Troyes en France, un centre de production unique. Nous pensons, on l'aura compris, à la littérature de colportage. Nous pouvons ajouter un exemple -nous y avons fait déjà allusion- où la détention d'un privilège par un imprimeur ne comporte pas -le monopole d'impression et de distribution dans tout le pays. Il s'agit des calendriers et almanachs, pour lesquels, vers le milieu du XVIIIe siècle,- l'imprimeur madrilène Antonio Sanz avait un privilège. De son imprimerie sortaient tous les exemplaires qui étaient vendus dans une zone déterminée; cependant Sanz passait contrat devant notaire avec des libraires ou des imprimeurs d'autres villes pour l'impression de ces textes, s'engageant à fournir l'original dans de bons délais en échange d'une somme fixée à l'avance et précisant l'aire de distribution qu'il leur abandonnait.

Pour quelles raisons? Manque de capacités de production? Difficultés de distribution? Manque de capitaux? Quoi qu'il en soit, le système, parfaitement structuré, fonctionnait. Pour les cartillas, malgré la prescription, royale, on en usa différemment et les problèmes ne tardèrent pas à apparaître8.

Le 8 février 1752, c'est le Sévillan Juan Curiel9 qui est nommé ministre du Conseil de Castille et Directeur de la Librairie. L'activité de réorganisation et de contrôle qu'il déploya dans son domaine et dont la masse de documents conservée témoigne nous permet de mieux connaître certains aspects de l'histoire du livre, et pas seulement ceux qui touchent à l'Administration. Pour Curiel, les dispositions royales ont été édictées pour être respectées, ce qui exige une surveillance permanente et une constante observation de la loi. Le 5 juin 1751 un décret royal prescrit que, indépendamment et una constance observation de la loi. Le 5 juin 1751, un décret royal prescrit que, indépendamment de leur contenu, les oeuvres imprimées devraient user d'un papier d'assez bonne qualité. Curiel recommande de procéder à des inspections auprès des imprimeurs et des libraires; il veille à ce que même ces publications au caractère éphémère que sont les calendriers, les almanachs et les cartillas («les enfants en déchirent tellement», notaient en pères de famille les députés aux Cortés) soient imprimées correctement et sur de bon papier. Grâce à ce souci constant, nous avons des renseignements sur bien des aspects de ces cartillas. L'impression des cartillas ayant été, au moins depuis le XVIIIe siècle, regroupée à Valladolid et, en dépit de l'ordonnance royale citée plus haut, effectuée dans l'imprimerie de la cathédrale ellemême, les cartillas étaient ensuite distribuées dans tous les royaumes de Castille. Le chapitre avait des correspondants ou concessionnaires dans diverses villes, avec un dépôt d'exemplaires où les libraires et revendeurs des villes et bourgs venaient s'approvisionner pour la vente au détail. Dans de nombreux cas, ces distributeurs n'étaient pas des marchands de livres, mais des gens qui s'adonnaient à d'autres branches de commerce.

Voyant arriver à Madrid des cartillas mal imprimées sur du papier de mauvaise qualité, Curiel écrit aux juges délégués des imprimeries pour leur demander d'inspecter les distributeurs afin de contrôler la qualité du papier, qui doit être semblable à celui des manufactures de Capellades ou du moins aussi bon que celui qui est employé pour le papier timbré. Les résultats de ces inspections ne sont pas fameux, car on découvre le plus souvent -cela dépend de l'avis des délégués, et des préposés à l'examendes cartillas fort mal imprimées sur papier ordinaire .

Quelles sont les causes de cette mauvaise qualité de l'impression? Voyons ce qu'en disent les imprimeurs de Valladolid qui inspectèrent l'imprimerie de la Cathédrale. Leur opinion coîncide avec celle des deux imprimeurs sevillans qui eurent à examiner les cartillas que le diffuseur de la ville avait en sa possession10.

Felipe Codallos, juge délégué des imprimeries de Valladolid, escorté de Fernando del Villar, gérant de l'imprimerie de la Chancellerie Royale, et de Francisco Antonio Garrido, compagnon chez le maître imprimeur Alonso del Riego, tous deux domiciliés à Valladolid, se rendit le 16 mars 1757 à l'imprimerie des Cartillas, propriété de la Sainte Eglise Cathédrale afin d'examiner les cartillas qui s'y trouveraient: 162 rames datant de l'année 1756 et 79 pour l'année en cours. Dans leur rapport, ces imprimeurs observent que «tout le papier semble, tant par son aspect que par le format et les filigranes, fabriqué dans le royaume d'Aragon, celui-là-même qui se vend communnément au poids au public de la ville susnommée; qu'il est pour partie blanc et de première qualité et pour partie de qualité moindre étant un peu gris, encore que suffisamment épais et apte à l'impression». Pour ce qui est des types utilisés à ce moment-là, ils sont nouveaux et employés, à ce qu'il semble, depuis 3 ou 4 jours seulement. Ceux qui ont été abandonnés et qui avaient servi à imprimer les cartillas correpondant à l'année précédente, à savoir 1756 (ils les ont également examinés) ne sont pas à bout de course, de sorte qu'on peut encore travailler en les employant 3 ou 4 mois et obtenir un travail tout à fait satisfaisant. D'autres caractères sont presque neufs; l'imprimerie possède dans ses casses des lettres neuves et tout le matériel paraît de «fort bonne qualité». Malgré cela, l'impression des 241 rames mentionnées est «en partie défectueuse», ce «défaut ne venant pas des types, du papier ni du matériel utilisé dans ladite imprimerie, mais de la négligence des ouvriers et du rythme précipité de leur travail».

Telle est également l'opinion du Docteur Jerónimo de Castilla, premier imprimeur à Seville, et de Joseph Padrino, lui aussi imprimeur dans cette cité, lorsque, à la fin du mois de mars de 1757, ils se penchèrent sur trois cartillas imprimées à Valladolid l'année précédente : «pour ce qui est des caractères avec lesquels on a imprimé ces cartillas, il leur semble qu'ils sont quasiment neufs, peu usés, jolis et bien dessinés, de sorte que, avec du bon papier comme celui qui a été utilisé, on peut obtenir des impressions claires et belles. Cependant si on regarde de près la façon dont sur les cahiers des impressions qu'on leur a adressés ces cartillas ont été imprimées, ils découvrent des imperfections: certaines lettres, certains mots ne se lisent pas aussi bien que les autres, d'autres sont flous ou repassés, ce que les maîtres-imprimeurs ne peuvent pas toujours empêcher, car il ne sont pas toujours auprès des presses, pas plus que leurs employés dont les manipulations, l'entraînement, l'application et la façon de travailler sont déterminants pour obtenir la perfection de l'impression; pour les travaux longs, celle-ci n'est pas toujours aussi réussie, car parfois l'ouvrier actionne la presse avec trop de précipitation ou de brutalité, sans veiller à placer exactement le tympan avec le papier sur la forme, puis à tirer juste ce qu'il faut pour que la lettre imprégnée d'encre pénètre bien dans le papier; d'autres fois, c'est parce qu'il manie la presse trop vite pour que son compagnon l'ouvrier batteur ait le temps de bien imprégner d'encre la forme; il peut se faire aussi que ce même ouvrier batteur, par négligence ou par précipitation, ne fasse pas correctement le bain d'encre sur la forme mentionnée; certains cahiers sortent alors imprimés de façon irrégulière et imparfaite. Enfin parfois il arrive que, si, pour chacune des opérations, on mouille trop de papier, ce papier étant au moment de la retiration, plus ou moins sec, les lettres ne peuvent pas s'y marquer ni s'imprimer, car le nombre de feuilles mouillées est trop grand. Néanmoins il faut savoir que les feuilles de la cartilla et celles qui sont imprimées de la même façon auront une meilleure présentation si elles sont battues, pressées et coupées»...

Les cartillas sortaient de l'imprimerie de Valladolid en balles, puis elles étaient transportées par des muletiers en direction des différents centres de distribution et livrées aux correspondants ou dépositaires qu'avait le chapitre de la cathédrale, pour la vente aux libraires et autres détaillants. Chaque dépositaire fournit un secteur et prétend y jouir du monopole de la distribution, exclusivité que méconnaissent parfois certains libraires qui les acquièrent directement au magasin que le chapitre de Valladolid possédait à Madrid.

Nous connaissons les noms de certains de ces concessionnaires des années 50, du XVIIIe siècle: Jacobo Dhervé, libraire à Seville; Antonio Ximenez, mercier à Cordoue; Maria Ruiz de Vera, veuve, de Grenade; Angela Ricarte, veuve, de Cadix; Joseph Ximénez, de Murcie. Nous connaissons aussi le nombre de cartillas saisies en 1757 à certains d'entre eux, car elles ne présentaient pas les qualités de papier et d'impression requises.

CORDOUE: 2 rames, 8 mains, 13 cartillas;

GRENADE: 3 rames, 15 mains, 12 cartillas; (ces dernières étant coupées et cousues)

CADIX: 25 mains (+50 cartillas chez Pedro Gomez de Requena, libraire, et l6 chez Manuel Espinosa, libraire).



Nous devons ajouter qu'en 1754 furent saisies à Tolède 4 990 cartillas, tandis que les saisies opérées dans l'imprimerie de la cathédrale atteignirent les chiffres suivants:

JUIN 1753: 300 rames de la cartilla de 1751; 680 rames de la cartilla de 1752; 405 rames de la cartilla de 1753;

MARS 1757: 162 rames de la cartilla de 1756; 79 rames de la cartilla de 1757.



Les délégués aux imprimeries, obéissant aux ordres de leur supérieur, le Directeur de la Librairie Curiel, inspectent distributeurs et libraires et, devant la mauvaise qualité déjà signalée, ils saisissent les stocks de cartillas qui sont placées à la disposition de la justice. Mais ces mêmes délégués voient le problème que pose cet embargo et l'exposent à leur chef; dans certains cas, ils ne résignent pas à l'effectuer «car le public peut en avoir besoin», comme dit le délégué de Grenade en 1757.

Les distributeurs et les libraires reçoivent les cartillas «en papier». Cependant on ne peut les vendre qu'une fois pliées in-octavo, avec couverture de papier, découpées et cousues, ou encore avec une couverture de parchemin. Par conséquent on doit fixer 3 prix: 4, 5, 8 maravedís, respectivement. On voit qu'au milieu du XVIIIe siècle le prix fixé à la fin du XVIe siècle est toujours en vigueur; officiellement donc ce prix n'avait pas varié. Pourtant, en fait, il devait en aller autrement, abus que les Cortès de 1592-1598 avaient déjà dénoncé. D'autre part, l'emplo d'un milleur papier et l'exigence d'une impression plis soignée imposaient un prix de revient plus élevé.

Ce que montrent les rapports des délégués, c'est que le prix excédait les 4 maravédis. La dépositaire de Grenade prévient, en 1757, que si elle doit les vendre â 4 maravédis, elle n'en commandera plus, car elle achète les cartillas à ce prix à Valladolid et le port est à sa charge. La conséquence, c'est que le marché manque de cartillas, alors que, comme le remarque le délégué des imprimeries, la demande est très forte dans la ville et les villages. Le distributeur de Cordoue, toujours en 1757, est autorisé à vendre à 5 maravédis, «pour qu'il ait un maravédis de bénéfice»; cependant «il abuse quand bon lui semble (et il est malaisé de le prendre), prétextant le manque de monnaie pour pouvoir rendre un maracédis et empochant le plus souvent 6 maravédis par cartilla.»

La cathédrale de Valladolid demande également le passage du prix imposé de 4 a 8 maravédis. A la suite de cette requête et du rapport de Juan Curiel, un décret royal daté d'Aranjuez le 17 août 1758, fixe le prix â 6 maravédis la cartilla «à condition qu'elle soient débitées, découpées et cousues», prix que la vente au détail ne peut excéder. Le décret fixe également le prix de gros que doit faire payer le chapitre de Valladolid: 62 réaux la rame. Le port doit être à sa charge car, comme dit Curiel, comme il n'y a pas d'imprimerie dans les villes mentionnées par le texte du privilège, il doit y avoir au moins un dépôt de cartillas. Le nouveau prix imposé pour la vente aux grossistes permet aux revendeurs une marge de 26 réaux 8 maravédis par rame, marge justifiée par l'obligation qui leur est faite de vendre les exemplaires découpés et cousus.

Même après ces mesures, on constate une pénurie de cartillas dans maintes villes des royaumes de Castille, et ce en dépit de l'ordonnance prise le 10 juillet 1759 par le juge délégué de Valladolid exigeant que l'Imprimerie de la cathédrale prenne «très vite des dispositions afin de fournir en cartillas tout le royaume, vu qu'en divers endroits elles ont manqué, puis qu'elle remette aux concessionnaires des diverses villes toutes les rames et lots de cartillas qui seront nécessaires, comme cela s'est toujours pratiqué, de façon qu'il n'y ait plus manque ni pénurie». Cette ordonnance sera reprise le 30 octobre. En Andalousie surtout, le manque de cartillas est grand, si bien que les maîtres d'écoles de Cadix adressent une requête à ce sujet. Sur intervention dé Curiel, on envoya alors, par le muletier Luis Barrera, 20 rames prises au magasin de Madrid.

La cartilla de la cathédrale de Valladolid eut cours jusqu'au premier quart du XIXe siècle, bien que, depuis la fin du siècle précédent, les essais de publier d'autres cartillas (nous n'en parlerons pas ici), conçues à partir de nouvelles techniques pédagogiques, aient été fréquents, certaines ayant même connu un début de réalisation. Nous ne devons pas oublier non plus les contrefaçons parues de tout temps en dépit du privilège ni les manières de contrevenir à la loi qui furent trouvées dans les premiers temps, subterfuges qu'expose et que condamne le texte de prorogation de 1593: «les ruses et inventions des imprimeurs et autres étaient telles qu'ils publiaient des livres portant le titre de "Doctrine chrétienne" ou "catéchisme", alors qu'ils renfermaient l'abécédaire et les rudiments nécessaires pour apprendre à lire». Nous voulons aussi signaler ce que dit Juan Curiel dans son rapport rédigé au vu de la requête du chapitre de Valladolid -entre autres choses il y était demandé une augmentation du prix imposé pour la cartilla-, lorsqu'il se réfère à l'étendue géographique de on utilisation: «les trois royaumes de la Couronne d'Aragon ont leurs cartillas particulières qu'ils impriment avec privilège du roi. La Biscaye et' les provinces basques ont également des cartillas particulières. Mais en Galice, aux Astúries et dans les montagnes de Léon et de Burgos, on n'emploie que la cartilla imprimée par la Sainte Eglise de Valladolid; ceux qui emploient dfes abécédaires manuscrits sont dans leur droit, car le privilège ne l'interdit pas»...

A propos de la cartilla de Valladolid, il resterait à étudier bien d'autres aspects, l'un d'entre eux étant (et c'est sans doute le plus intéressant), le nombre d'exemplaires vendus durant les deux siècles que dura le privilège, ce qui constituarait une importante contribution à l'étude de l'alphabétisation dans les royaumes de Castille, au moins en ce qui concerne l'alphabétisation primaire. Sans apprentissage de la lecture, elle n'existe pas. Même si ensuite elle reste limitée à certains types d'écrits de grande consommation.





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