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La réécriture d'événements de l'Ancien et du Nouveau Testament dans les poêmes «Allá lejos» (Anteparaíso, 1982) du Chilien Raúl Zurita

Benoît Santini


ATER (Université de Provence - Aix-Marseille 1)

Résumé: Cette étude s'attachera à démontrer comment certains événements contenus dans Y Ancien et le Nouveau Testament sont adoptés et réexploités par le poète chilien Raúl Zurita (1950), afin d'évoquer subrepticement et par le biais de l'implicite la violence mise en œuvre par la dictature du Général Pinochet (1973-1990), ainsi que les drames et la souffrance endurés par le peuple chilien. Nous verrons entre autre que cette adaptation du texte sacré n'est qu'un prétexte servant au poète à dénoncer habilement la situation politique de l'époque.

MOTS-CLES: CHILI, DICTATURE, BIBLE, REECRITURE, RAÚL ZURITA, POESIE, ANTEPARAÍSO





Raúl Zurita (Chili, 1950) a commencé sa production poétique dans les années 1970; son premier recueil, Purgatorio, est publié en 1979. Viennent ensuite Anteparaíso (1982), La vida nueva (1993), Poemas militantes (2000), Las ciudades de agua (2007). Auteur prolifique et polémique, il écrit des poèmes dans le ciel de New York en 1982, fait creuser un vers dans le désert d'Atacama en 1993, se brûle la joue avec un fer incandescent en 1975, ou s'injecte de l'ammoniaque dans les yeux en 1980. Son objectif est de faire de la vie une œuvre d'art et, pour ce faire, il utilise tous les supports et se sert de la riche expressivité des mots et des silences.

Son écriture poétique, dans Anteparaíso et dans la plupart de ses recueils, se caractérise par une intertextualité biblique: il récupère les événements de Y Ancien et du Nouveau Testament, réécrit La Bible et le Calvaire du Christ et fait du Chili un grand corps meurtri. Il met ainsi en œuvre un véritable devoir de mémoire, et propose dans ses œuvres un témoignage de la situation politique des années 1973-1990: la dictature du Général Pinochet. L'objectif de la réécriture est donc fortement expressif, elle ne se limite pas à une répétition, une redite, une parodie, mais dénonce par la réécriture et possède un objectif éthique.

Ainsi, le thème de cet atelier, qui s'intéresse entre autre à la variation, la parodie, à l'intertextualité ou interculturalité, semble applicable à l'écriture de Raúl Zurita qui, dans trois de ses poèmes contenus dans Anteparaíso («Allá lejos», «Là-bas au loin», poèmes «CI», «CII», «CIII») reprend et réélabore des événements contenus dans Y Ancien et le Nouveau Testament, non pas sous la forme d'une citation, mais d'une véritable réécriture puisque ton, style et thème sont modifiés par le poète en question1. Il ne s'agit pas d'une réécriture générique, mais plus largement d'une réélaboration, d'un transposition (c'est le terme que nous utiliserons), qui effectue non seulement une «transformation thématique» et une «translation spatiale», pour reprendre les termes employés par Gérard Genette, mais aussi une transformation énonciative et une translation temporelle2. Cette transposition est construite sur la base d'une désacralisation du langage, donnant aux trois poèmes une valeur parodique, dont l'objectif est de faire de la poésie un outil accessible à tous, malgré les silences et les allusions, et transformer un texte sacré en un texte accusateur des réalités et des contingences vécues par le Chili dans les années 1980. La question qui se pose est de savoir comment le poète parvient à dénoncer dans ces «hypertextes» les actes de la dictature par le biais d'une réécriture d'événements de l' Ancien et du Nouveau Testament3. Pour y répondre, et après avoir proposé un rapide contexte de la situation politique et sociale des années 1980 au Chili (en nous centrant sur la répression mise en place par la dictature), nous observerons la réécriture du sacrifice d'Abraham, de Josué conduisant les Hébreux en terre promise et de la fuite en Egypte dans les poèmes «CI», «CII» et «CIII» intitulés collectivement «Allá lejos», et enfin expliquerons que l'objectif de la réécriture de Raúl Zurita n'est autre que la dénonciation et l'engagement. Citons tout d'abord le poème en langue originale, traduit en note:




/CI/


Se hacía tarde ya cuando tomándome un hombro
me ordenó:
"Anda y mátame a tu hijo"
Vamos -le repuse sonriendo- ¿me estás tomando
el pelo acaso?
"Bueno, si no quieres hacerlo es asunto tuyo,
pero recuerda quien soy, así que después no
te quejes"
Conforme -me escuché contestarle- ¿y dónde
quieres que cometa ese asesinato?
Entonces, como si fuera el aullido del viento
quién hablase, Él dijo:
"Lejos, en esas perdidas cordilleras de Chile




/CII/


Con la cara ensangrentada llamé a su puerta:
Podría ayudarme -le dije- tengo unos amigos afuera
"Márchate de aquí -me contestó- antes de que
te eche a patadas"
Vamos -le observé- usted sabe que también
rechazaron a Jesús.
"Tú no eres Él -me respondió- ándate o te
rompo la crisma. Yo no soy tu padre"
Por favor -le insistí- los tipos que están
afuera son hijos suyos...
"De acuerdo -contestó suavizándose- llévalos
a la tierra prometida"
Bien: ¿pero dónde queda ese sitio? -pregunté-
Entonces, como si fuera una estrella la que
lo dijese, me respondió:
"Lejos, en esas perdidas cordilleras de Chile"




/CIII/


Despertado de pronto en sueños lo oí tras la
noche
"Oye Zurita -me dijo- toma tu mujer y a tu
hijo y te largas de inmediato"
No macanees -le repuse- déjame dormir en paz,
soñaba con unas montañas que marchan...
"Olvida esas estupideces y apúrate -me urgió-
no vas a creer que tienes todo el tiempo del
mundo. El Duce se está acercando"
Escúchame, -contesté- recuerda que hace mucho
ya que me tienes a la sombra, no intentarás
repetirme el cuento. Yo no soy José.
"Sigue la carretera y no discutas. Muy pronto
sabrás la verdad' '
Está bien -le repliqué casi llorando- ¿y dónde
podrá ella alumbrar tranquila?
Entonces, casi como si fuera la misma Cruz la que se
iluminase, Él contestó:
"Lejos, en esas perdidas cordilleras de Chile".4


L'adaptation de la réécriture à un contexte: le Chili des années 1970-1980

Ces trois poèmes, extraits d'Anteparaíso (1982), sont publiés en plein cœur de la dictature du Général Pinochet (1973-1990), et les expressions «tue-moi ton fils» («mátame a tu hijo»), «cet assassinat» («este asesinato»), «va t'en» («Márchate»), et «tú te barres» («te largas») renvoient implicitement à deux aspects de cette période historique: les crimes de la dictature (notamment les tortures dans les centres de détention) et l'exil des opposants, les deux aspects que nous nous proposons d'étudier. Ainsi, le poète est en prise avec l'actualité du moment, il devient témoin de son époque et met en œuvre un véritable devoir de mémoire afin que ne soient pas oubliés ces événements. Ces poèmes comportent donc une forte charge autoréférentielle. Au début de la dictature, le poète lui-même vit directement la répression le 11 septembre 1973, date du Coup d'Etat du Général Pinochet: il est en effet incarcéré par les militaires du régime puisqu'il participait aux mouvements étudiants universitaires des années 1970; cette expérience le marque et aiguise sa conscience critique. Il explique d'ailleurs lors d'un entretien:

On nous emmena à l'Ecole d'Ingénierie Navale, qui se trouve à Salinas. Ce qui les intéressait le plus c'était de repérer les chefs et les dirigeants de la Fédération des Etudiants. Moi j'avais été membre des Jeunesses Communistes à la fac, mais un militant de base, sans aucune importance. A partir de là ils nous ont réparti dans deux navires de la Compagnie Sudaméricaine de Navires à Vapeur, le Maipo et le Lebu, ainsi que deux détenus importants dans l'Esmeralda.5



Ces conditions terribles de détention sont expliquées dans un rapport d'Amnesty International datant de 1981 où Luis Vega Contreras raconte son expérience vécue à bord de L'Esmeralda, l'un des trois navires utilisés à des fins d'incarcération, en septembre 1973:

Le samedi 15, la plupart des hommes, à l'exception de quelques-uns, furent emmenés en file indienne, entourés de gardes, à bord du navire marchand le MAIPO. En chemin, nous vîmes des centaines d'hommes attachés et torturés qui gisaient sur le sol, sur les ponts et dans les cales du MAIPO, une foule d'hommes à genoux, les mains derrière la tête.6



Ce témoignage corrobore les propos de Raúl Zurita qui évoque cette expérience comme un événement marquant et particulièrement douloureux dans son parcours existentiel. Si le poète vit de près la répression et les arrestations sommaires, il faut rappeler que cette situation est courante entre 1973 et 1990. La répression se met rapidement en place et prend diverses formes: tout d'abord, une unité militaire, portant le nom de «Caravane de la Mort», parcourt le Chili en octobre 1973 et élimine 73 opposants au régime, basant ses actes sur la méthode de la terreur et la volonté de dominer un pays7. La volonté de maîtriser un peuple par la peur et la répression se confirme par l'instauration d'une «police politique»: la DINA (Direction de l'Intelligence Nationale), entre 1974 et 1977, persécute les opposants au régime, faisant entre 3000 et 8000 victimes, et torturant plusieurs dizaines de milliers de Chiliens8. Cet organe souhaite maîtriser l'information et maintenir l'ordre. Ainsi, «la DINA se dote immédiatement de centres de détention secrets où la torture est systématiquement appliquée», éliminant essentiellement les militants de gauche9. Les activités répressives se poursuivent dès 1977, année où la CNI (Centrale Nationale de l'Information) remplace la DINA, muselle l'opinion publique et ne divulgue que la réalité officielle; elle réunit toutes les informations utiles au régime et sauvegarde, par la brutalité, la sécurité nationale10. Au cours des années 1981 à 1987 (époque à laquelle est composé Anteparaíso) s'accroissent à la fois les manifestations populaires et la répression du régime autoritaire: entre 1982 et 1985, les protestations populaires s'intensifient à Santiago du Chili et des groupes paramilitaires clandestins, liés au régime militaire, répriment les dissidents et séquestrent les opposants11. Le poète Raúl Zurita, marqué par ces événements (il ne quitte pas le Chili au cours de ces années) est le témoin de cette violence, dont il nous fait part par la suggestion, dans ses recueils.

La répression, pratique quotidienne au cours des 17 ans de dictature, s'accompagne d'un exil des opposants et en particulier des artistes. Ces derniers, parmi lesquels des poètes quittent leur terre d'origine afin d'échapper aux actes répressifs du Gouvernement autoritaire. Entre 1973 et 1987, on dénombre plus de 260 000 interdictions de retour au Chili, et il a même été dit qu'un million de Chiliens étaient partis en exil12. Les poètes exilés, éloignés des événements de leur pays d'origine, ne souhaitent pas escamoter les contingences vécues au Chili13. L'isolement et l'éloignement de la terre d'origine créent des conditions de production particulières auxquelles se soumettent les poètes, mais une plus grande liberté est possible pour eux, puisque l'expression peut se faire plus directe, et sans tous les subterfuges adoptés par les poètes de l'intérieur. Dans le cas du Chili (mais cela est valable pour d'autres situations d'exil en Amérique latine), une véritable scission, une séparation se créent entre la poésie de l'intérieur et celle écrite en exil. Le sentiment d'abandon et de désorientation, ressenti par les exilés, est perceptible dans de nombreux poèmes de la diaspora chilienne. S'il est évoqué par les poètes exilés, il l'est aussi par Raúl Zurita qui, bien qu'il n'ait pas quitté son pays au cours de la dictature, se sent proche des intellectuels qui ont fui le pays, comme nous le verrons dans les poèmes que nous nous sommes proposé d'étudier, dans lesquels l'auteur réélabore des textes de l'Ancien et du Nouveau Testament et il devient le témoin d'événements de son temps14.




La réécriture d'épisodes de la Genèse, de Josué, de l'Evangile selon Saint Matthieu: le sacrifice d'Abraham, Josué conduisant les Hébreux en terre promise et la fuite en Egypte

Raúl Zurita, qui a découvert la Bible en langue italienne grâce aux lectures que lui en faisait sa grand-mère, apprécie les histoires que conte l'œuvre. D'ailleurs, lors de notre communication épistolaire avec lui, il nous a confié:

Je ne suis pas croyant, mais cela ne signifie pas grand chose, le mot Dieu est un mot incrusté dans les langues romanes et le castillan est la langue de la Contre-Réforme et de l'évangélisation de l'Amérique, les langues ont une mémoire différente de celle des hommes qui les parlent et ôter le catholicisme de la langue espagnole est impossible, ce ne serait plus la même langue [...]. Dans la poésie que j'écris je laisse parler cette mémoire de la langue, elle est beaucoup plus forte que moi. La Bible est l'utopie de toute littérature, du moins en Occident. Un livre écrit par de multiples générations, et de multiples auteurs. C'est la représentation maximale du littéraire [...]. Je lis beaucoup les poètes bibliques, Isaïe, Jérémie, Oseas qui sont, avec Homère, la base de notre existence, de nos noms [...]. Je n'ai jamais cru en Dieu, même enfant, mais les histoires de l'Ancien Testament m'ont marqué bien avant queje ne sache lire.15



Selon lui, le catholicisme signifie traumatisme pour les peuples d'Amérique latine car il est lié à I'evangelisation forcée des peuples indiens et à l'imposition d'une langue sur une autre; en outre, la Bible, l'œuvre par excellence, renferme la mémoire des peuples (Histoire et langue) et les utopies de l'être humain (prophéties) y sont exprimées. C'est ce que souhaite faire le poète lui aussi dans cette réécriture et dans son recueil Anteparaíso: conserver la mémoire d'un peuple traumatisé (les Chiliens pendant la dictature) par le biais de la langue et du discours poétique, évoquer les utopies de ce même peuple (espoir d'une démocratie rêvée en 1982). Voilà pourquoi le poète a recours à une sorte de transposition16. Selon Gérard Genette, «la transposition [...] peut s'investir dans des œuvres de vastes dimensions [...] dont l'amplitude textuelle et l'ambition esthétique et/ou idéologique va jusqu'à masquer ou faire oublier leur caractère hypertextuel, et cette productivité même est liée à la diversité des procédés transformationnels qu'elle met en œuvre»17. Le poète réélabore, réécrit et réadapte des textes préalables, en modifiant le ton, le lieu de l'action et l'époque. Quelques constantes vont toutefois perdurer, et ce dans un objectif expressif.

Le poète transpose donc, en respectant une chronologie et un ordre, mais sans se soucier de la longueur du texte originel, des psaumes contenus dans l'Ancien et le Nouveau Testament (Genèse, Josué, Evangile selon Saint Matthieu). Il numérote ses poèmes, les apparentant ainsi aux psaumes bibliques, numérotés eux aussi. En premier lieu, il reprend et réadapte, dans le poème «CI», l'épisode du Sacrifice d'Abraham, dont nous pouvons rappeler l'anecdote: Abraham et sa femme Sarah ont eu un fils, Isaac, après avoir longtemps attendu cette naissance. Dieu avait promis qu'Abraham aurait un héritier, et même une nombreuse descendance. Quelques psaumes plus loin, on lit:

Après ces événements, il arriva que Dieu éprouva Abraham et lui dit: "Abraham !". Il répondit: "Me voici!". Dieu dit: "Prends ton fils, ton unique, que tu chéris, Isaac, et va-t'en au pays de Moriyya, et là tu l'offriras en holocauste sur une montagne que je t'indiquerai."Abraham se leva tôt, sella son âne et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac.18



Le poète s'inspire de cet épisode et du ton employé par l'Etre Suprême: en effet, dans le poème «CI», l'apostrophe et l'injonction par le biais de l'impératif sont conservés: «Prends ton fils...va-t'en...» deviennent «Va et tue-moi ton fils». Le ton de sermon et l'admonestation sont eux aussi identiques, voire plus concis et fermes chez le poète chilien, qui souhaite donner une solennité aux actes évoqués et à renonciation, au ton employé. Néanmoins, cette réécriture s'accompagne d'ajouts, et l'Abraham du poète, qui n'est autre que Zurita lui-même, est récalcitrant, subversif et n'hésite pas à faire usage d'un discours désacralisateur et irrespectueux: «tu te fous / De moi sans doute?». Le profond respect que manifeste Abraham envers Dieu dans les psaumes suivants («Que mon Seigneur ne s'irrite pas...Je suis bien hardi de parler à mon Seigneur») est donc escamoté dans les poèmes qui nous intéressent. Cette rébellion du sujet lyrique n'est pas anodine, et sert au poète à véhiculer son message accusateur, comme nous en reparlerons plus loin. Enfin, le pays de Moriyya et la montagne, lieux sacrés (la maison de l'Eternel est construite sur le mont Moriyya à Jérusalem), deviennent concrets et clairement identifiés puisque le sacrifice du fils de Raúl Zurita doit avoir lieu "Loin, dans ces cordillères perdues du Chili". Le poète, par sa réécriture et ses modifications, fait d'un lieu concret (les cordillères du Chili) un lieu mythique, magnifié et symbolique.

Le poème «CII» semble être, quant à lui, une réécriture du début du livre de Josué dans l'Ancien Testament; on y lit:

Après la mort de Moïse, serviteur de Yahvé, Yahvé parla à Josué, fils de Nûn, l'auxiliaire de Moïse, et lui dit: "Moïse, mon serviteur, est mort; maintenant, debout! Passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays queje donne aux Israélites".19



Le Seigneur, encourageant, protecteur et plutôt bienveillant dans le texte biblique, devient agressif et menaçant dans le poème de Raúl Zurita ("Va t-en d'ici -me répondit-il- avant que /je ne te fasse partir à coups de pied», «fiche le camp / ou je te casse la figure»). Le pays donné par Dieu est la terre promise, que l'on retrouve dans le poème de l'auteur chilien et qui correspond, une fois encore, aux cordillères du Chili, comme le précise le dernier vers, véritable refrain des trois poèmes d' «Allá lejos». Le peuple évoqué par Dieu (les Hébreux) devient «les gars qui sont / dehors» (périphrase qui, de façon subreptice, désigne les exilés chiliens). Le sujet lyrique, acteur de renonciation dans le poème, congédie son interlocuteur, il change de ton et d'attitude à son égard, et le Dieu originel semble avoir abandonné le peuple qu'il protégeait. Ainsi, un véritable renversement s'opère.

Enfin, le poème «CIII» reprend l'allusion à la fuite en Egypte, contenue dans l'Evangile selon Saint Matthieu (Nouveau Testament); cette fois-ci, il s'agit de la voix d'un ange qui conseille et protège Joseph et sa famille:

Après leur départ, voici que l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère, et fuis en Egypte; et restes-y jusqu'à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l'enfant pour le faire périr". Il se leva, prit avec lui l'enfant et sa mère, de nuit, et se retira en Egypte; et il resta là jusqu'à la mort d'Hérode.20



Le moment de l'apparition est identique (sans doute la nuit ou le petit matin, car on lit dans l'Evangile «l'Ange du Seigneur apparaît en songe à Joseph» et dans le poème zuritien «je l'entendis en rêve après la nuit»). Le ton est fortement anti-poétique dans le poème de l'auteur chilien («Hé, Zurita -me dit-il- prends ta femme et ton / fils et tu te barres sur le champ», «Oublie ces âneries et dépêche-toi») et dans son énonciation, l'ange ou l'apôtre ou le Dieu de Zurita presse son interlocuteur, et le renvoie sans ménagement à une cruelle réalité. Quant à la voix lyrique Zurita, elle emploie un langage familier, lui aussi anti-poétique («Ne dis pas de bêtises -lui répondis-je-laisse-moi dormir en paix»). Une grande honnêteté intellectuelle du poète l'amène à faire dire à son sujet lyrique, qui n'est autre que l'auteur lui-même, «vous savez aussi qu'on a rejeté Jésus», en référence à l'épisode du Ministère de Jésus en Galilée où le Christ, après sa prédication, est poussé hors de la ville de Nazareth afin de le précipiter du haut d'une colline21. Le sujet lyrique s'écrie aussi: «Je ne suis pas Joseph», afin d'insister sur le procédé de réécriture et la réadaptation de l'événement biblique à la réalité chilienne des années 80. Il s'agit d'un véritable clin d'œil au lecteur, invité à établir une différence mais aussi un lien étroit entre l'hypotexte (la Bible) et l'hypertexte («Allá lejos»).

Dans ces trois poèmes, Raúl Zurita met donc en œuvre une réécriture du temps, de l'espace et de renonciation lyrique. En effet, il procède à une transposition temporelle puisque le temps biblique, mythique et sacré devient un temps concret, contemporain, correspondant aux contingences vécues par le poète (années 1980). Les lieux évoqués dans les textes de l'Ancien et du Nouveau Testament (Israël, Egypte) laissent place à un espace latino-américain clairement énoncé (les cordillères du Chili). Enfin, l'on constate des changements de voix: le dialogue entre Dieu et Abraham et celui entre l'ange et Joseph deviennent un dialogue entre Dieu ou un apôtre et Raúl Zurita: le poète donne ainsi une valeur de grandeur à son discours poétique. Le tutoiement est maintenu, dans les poèmes «CI» et «CIII», tout comme les apostrophes et les impératifs dans les trois poèmes: le poète conserve une certaine proximité entre les deux interlocuteurs, il désacralise la langue théologale, mais il garde une solennité, une grandiloquence, le ton de l'admonestation et du sermon. La voix toute-puissante est présente pour prévenir, menacer ou conseiller la voix poétique, souvent confondue avec le poète lui-même. Ainsi, certains poèmes représentent une véritable fusion des genres et des registres de langue, comme le souligne Anthony Cussen dans son analyse du poème «CIII»: il évoque «une espèce de langue franche hispanique», qui comprend «des expressions argentines et espagnoles traditionnelles», ainsi qu' «un ton évocateur de série télévisée mexicaine»22. Ce mélange entre le langage biblique, théologal et le langage familier crée un renouvellement de l'écriture poétique, et une réadaptation au contexte chilien des événements de l'Ancien et du Nouveau Testament. Le discours lyrique se mêle à la familiarité conversationnelle («se barrer»), et le lecteur constate, grâce aux nombreux latino-américanismes («macanear»: «se foutre de quelqu'un», «tener a la sombra»: «avoir à l'œil, garder en taule») une adaptation du discours biblique aux contingences chiliennes: il se sent saisi par l'action dans des poèmes en vers libres, rythmés et dynamiques. Tous ces procédés de réécriture ne sont pas anodins: ils permettent en effet au poète de dénoncer et de manifester un véritable engagement empreint de courage.




L'objectif de la réécriture de Raúl Zurita: la dénonciation et l'engagement

L'Ancien Testament relate les événements antérieurs à la vie de Jésus, et le Nouveau Testament narre la vie de Jésus ainsi que ses miracles; si nous nous intéressons à l'étymologie de Testament, nous découvrons que ce mot signifie «témoignage». C'est l'objectif que s'assigne Raúl Zurita: écrire un «nouvel Ancien» et un «nouveau Nouveau Testament», proposer un témoignage des événements qu'il vit au Chili pendant la dictature du Général Pinochet, chanter une ère antérieure à la vie nouvelle du Chili, utopique en 1982, et prévoir un renouveau démocratique pour le pays. Pour ce faire, il se sert, dans sa réécriture, de nombreux procédés d'occultation, d'une richesse expressive, ainsi que de bouleversements énonciatifs et sémantiques.

Les ajouts que propose l'auteur par rapport au texte originel sont des outils qui lui servent à manifester son engagement; il peut ainsi évoquer la violence vécue au quotidien par le peuple chilien. L'allusion au «visage ensanglanté» et aux «types qui sont dehors» («CII») renvoient de façon subreptice aux actes de torture et aux exilés chiliens; d'autre part, la répétition de l'adverbe de lieu «fuera...afuera» («dehors...au-dehors») fait directement allusion à l'espace extérieur, à l'exil (les deux adverbes sont d'ailleurs mis en relief en fin et début de vers). La prudence incite l'auteur à utiliser certaines expressions basées sur des imprécisions comme «des amis» («unos amigos»), «les types» («los tipos») qui, pour un lecteur averti, équivalent effectivement aux exilés. Ces ajouts s'accompagnent aussi d'un non-dit et d'un implicite efficaces: Raúl Zurita souhaite égarer son lecteur car dans le titre «Allá lejos», les adverbes de lieu «là-bas au loin» devraient en fait être remplacés par «ici tout près», à savoir le Chili des années 80; mais cette expression est polysémique, et elle suggère l'idée d'un long chemin à parcourir avant d'atteindre la liberté espérée, qui se trouve «là-bas au loin». L'on constate une réelle volonté de la part de Raúl Zurita de masquer son discours, et la recherche d'un lecteur actif, capable de combler le silence et d'élucider l'énigme dissimulée derrière cette autocensure que s'impose le poète. Voilà pourquoi l'expression «le Duce est en train de s'approcher» («el Duce se está acercando») renvoie implicitement au dictateur, qui se cache derrière le surnom attribué habituellement à Mussolini. Le lecteur déchiffre le message transmis par le poète par un processus actif de dévoilement du sens caché.

Les changements d'énonciation sont tout autant signifiants que les ajouts que s'autorise le poète. Ainsi, la voix de l'apôtre/Dieu devient celle du Dictateur-démon, du Dieu-Pinochet. Le ton employé par le sujet lyrique-Zurita est bien distinct d'Abraham, comme nous l'avons dit plus haut. En effet, la voix poétique zuritienne manifeste une profonde rébellion dans ses réponses aux demandes du Dieu-Pinochet. Cette rébellion est emblématique des réactions des opposants au cours des années 1980 au Chili, qui n'hésitent pas à affronter les autorités par les armes, et dont le sujet poétique devient le représentant. Les conséquences seront dramatiques: arrestations, séquestrations, tortures et disparitions seront dès lors monnaie courante. Le visage ensanglanté du Moi lyrique renvoie de façon voilée aux actes barbares du régime autoritaire, qui réprime sévèrement les dissidents. Voilà pourquoi le Dieu zuritien des poèmes «CI» et «CII» est un être cruel, qui ordonne à un père de lui sacrifier son fils, qui abuse de son autorité («souviens-toi qui je suis alors après ne viens pas te plaindre», «avant queje ne te fasse partir à coups de pieds», «ou je te casse la figure»). Le poète, en sus de la réécriture biblique, effectue une nouvelle réécriture: celle du discours officiel, basé sur l'injonction et la violence. Ainsi, le surnom attribué par Marco Antonio de la Parra à Pinochet, qu'il qualifie de «maître de la Peur» et d' «artiste de la menace», nous semble tout à fait adapté à cette réalité et au sujet lyrique divin des poèmes23. L'intertextualité biblique fonctionne comme une parodie du discours officiel car le dictateur cite constamment Dieu. Ces références à Dieu dans les discours officiels du Général servent à justifier et à légitimer les exactions du régime24. D'ailleurs, Miguel Rojas Mix, dans son ouvrage El Dios de Pinochet. Fisonomía del fascismo iberoamericano, publié en 2007, écrit:

J'ai commencé à écrire El Dios de Pinochet (Le Dieu de Pinochet) le 11 septembre 1973. [...]. En lisant des harangues, des discours, des proclamations, en consultant les citations des dictateurs, en consultant des images, j'en suis arrivé à la conclusion que rien ne montrait mieux leur raisonnement que les mythes de légitimation. Ces derniers ont été largement développés au moment du Coup d'Etat afin de convaincre les citoyens de la nécessité de briser l'ordre démocratique [...]. Le titre est né six mois plus tard, lors d'un discours triomphateur de Pinochet où il a cité le "Dieu Tout-Puissant". J'ai vécu avec horreur l'impunité de ses crimes.25



Selon lui, le discours officiel de Pinochet en particulier se base sur des références à la religion et au Dieu des catholiques. En leurrant ainsi le peuple, en l'aveuglant par des allusions constantes à l'Etre Suprême, le dictateur justifie ses crimes et leur donne une raison d'être. C'est pourquoi Raúl Zurita détourne à son tour le discours officiel, transformant le dictateur en un Dieu Tout Puissant: le Chef d'Etat devient, en quelque sorte, le Dieu qu'il invoque dans ses harangues, mais il lui ôte sa bonté, sa bienveillance et le diabolise en en adoptant un masque déformé.

Néanmoins, si des changements d'énonciation sont visibles dans les trois poèmes, l'auteur reste fidèle à l'emploi de la première personne du singulier qui le compromet; il n'hésite pas, en 1982, à s'identifier à un Moi lyrique, critique par rapport au régime en place. En bref, Raúl Zurita est membre d'une communauté et porte-parole d'un groupe (les opposants chiliens, les exilés), puisqu'il parle en leur nom, faisant ainsi preuve d'un grand courage. Dans le poème «CIII», enfin, il semblerait que le Dieu zuritien ait laissé sa place à un apôtre ou un ange, qui annonce l'arrivée imminente du «Duce», alors que dans L'Evangile selon Saint Matthieu, l'ange invite Joseph à fuir avec sa famille en Egypte, afin de protéger son fils du massacre d'Hérode; dans ce cas, le sujet poétique conseille son interlocuteur et l'invite à échapper aux griffes de la dictature et à ses assassinats. L'ange zuritien joue donc un rôle de protection, qui s'oppose à la menace contenue dans les propos du Dieu des poèmes «CI» et «CII».

Les registres de langue de ces trois poèmes sont aussi fort signifiants. En effet, pour ce qui est du style employé par le Moi lyrique-Zurita, on constate une grande familiarité envers le Seigneur du poème «CI» et l'ange du poème «CIII»: le poète met en œuvre une profonde désacralisation du langage par le biais de l'oralité, afin de reproduire un langage concret et quotidien, celui du peuple, et de confirmer, une fois encore, son courage et sa rébellion par un lexique usuel. Les expressions «Tu te fous de moi sans doute», «Ne dis pas de bêtises», «rappelle-toi qu'il y a longtemps déjà que tu me racontes des salades, n'essaie pas de me répéter ces histoires» en sont la preuve: le sujet poétique manifeste une méfiance envers l'Etre Suprême et l'ange qui lui rendent visite, intensifiée par l'accumulation de négations. Ainsi, il désacralise certaines figures bibliques afin d'adapter les événements de l'Ancien et du Nouveau Testament à la réalité concrète, quotidienne, du Chili de Pinochet. Enfin, dans le poème «CII», on note que le sujet lyrique s'adresse au Seigneur en employant la troisième personne du singulier («usted», vouvoiement de politesse): cela ne signifie pas un changement d'interlocuteur (il semblerait que ce soit toujours le

Dieu-dictateur), mais le Moi poétique manifeste une certaine déférence: il a, en effet, une demande à formuler et tente de faire aboutir sa requête en adaptant son discours, s'éloignant de la familiarité qu'il a manifestée dans le poème précédent.

La translation spatiale se met, elle aussi, au service du message transmis par le poète. Le refrain: «Loin, dans ces cordillères perdues du Chili» («Lejos, en estas perdidas cordilleras de Chile») présente un espace concret et symbolique à la fois, car les cordillères deviennent sacrées Chez Raúl Zurita, elles sont polysémiques et ambivalentes: elles représentent à la fois le lieu du crime, du sacrifice car, rappelons-le, lors des massacres de la Caravane de la Mort, certains corps furent jetés depuis les airs dans la cordillère26: le poète savait les drames qui se jouaient, sans toutefois en connaître tous les détails, et selon lui «la cordillère me parut être un cadre très fort pour situer ces trois actions, c'est pourquoi je l'ai mise là»27. Mais cet espace est aussi la nouvelle terre promise, un nouveau «locus amoenus», qui équivaut à une utopie d'un monde meilleur; la voix du Dieu et celle de l'ange annoncent une prophétie: une nouvelle ère, un espace libéré de l'emprise des militaires, le retour d'une démocratie. Le Dieu-dictateur des poèmes «CI» et «CII» semble annoncer et prévoir sa propre fin, qui apparaît, dans le poème, comme imminente (rappelons toutefois que la dictature de Pinochet perdure jusqu'en 1990, et que la mort du dictateur a lieu en décembre 2006). La terre promise change de lieu et d'époque: cette Terre est désignée dans la Bible comme «Terre d'Israël», elle fut promise aux patriarches hébreux Abraham, Isaac, et Jacob par Dieu. Cette notion désigne aussi chez les Chrétiens le paradis, ou une terre nouvelle. Donc ces trois poèmes sont profondément politiques, engagés, par le biais de l'implicite, puisque derrière l'évocation des cordillères en tant que nouvelle terre promise, se cache en réalité le souhait d'un régime démocratique, et l'espoir de la fin du totalitarisme au Chili. Le temps et l'espace sacrés bibliques deviennent un temps et un espaces concrets: les années 80 au Chili.

Quant à la translation temporelle, elle possède une forte valeur symbolique. Le poète transpose les liens familiaux unissant, tout d'abord, Abraham et son fils, et ensuite ceux unissant Joseph, son épouse et son fils à sa propre réalité familiale: ainsi, le fils d'Abraham (Isaac) et le fils de Joseph (Jésus) deviennent le fils de Raúl Zurita, et l'épouse de Joseph (Marie) devient celle du poète. Ces trois poèmes sont donc en étroite relation avec la biographie de l'auteur chilien: ce dernier a eu trois fils avec sa première épouse, Miriam Martínez et il vit une relation torturée et intense avec la romancière chilienne Diamela Eltit entre la fin des années 1970 et 198528. Par cette réécriture des liens familiaux d'Abraham et de Joseph, il donne une valeur de grandeur à l'expérience de son sujet lyrique, celle-ci acquérant une valeur symbolique: elle devient collective, et emblématique de la situation de nombreux Chiliens pendant la dictature, séparés de leurs familles (disparitions, exil...). La diaspora des Juifs devient celle des exilés chiliens29. C'est sans doute aux habitants de Judée que fait allusion implicitement le sujet lyrique du poème «CII», en les propulsant au XXe siècle et en procédant donc à une translation spatiale et temporelle: l'exil des habitants de Judée à Babylone devient l'exil des Chiliens en Europe ou Etats-Unis, et l'on passe du premier millénaire avant notre ère aux années 1973-1982. Le poète magnifie le cas chilien, présentant les persécutions à leur encontre comme un supplice comparable à celui vécu en Judée. En outre, l'idée de sacrifice acquiert à son tour une dimension symbolique: le Dieu-Pinochet reçoit ses victimes sur son autel, et il semblerait que ces supplices permettent la naissance d'une nouvelle ère pour le Chili. Les persécutions et les innombrables victimes du régime sont considérées par des sous-entendus comme un Holocauste, au sens premier du terme30.

Malgré les drames prévus par les voix toutes-puissantes du Dieu et de l'ange, les différentes prophéties contiennent un message d'espoir: en effet, si dans La Bible, certaines prophéties annoncent la venue d'un Sauveur, dans ces trois poèmes, l'utopie et le rêve sont aussi à l'honneur, et annoncent l'avènement d'une nouvelle ère et d'un espace identique à une Terre promise31. Ce qu'espère le Moi poétique d' «Allá lejos» est un Chili, débarrassé des crimes, et il oppose le «Chili idéal» (utopique) et le «Chili imparfait» (celui dominé par la Junte militaire). Le sujet lyrique-poète, plongé dans son inspiration et dans la création poétique (rappelons qu'il chante: «je rêvais de montagnes qui marchent...»), est ramené à la réalité par une voix suprême qui lui rappelle le danger imminent («el Duce se está acercando»), tout en lui annonçant un avenir davantage prometteur. Ces sortes d'hallucinations, de cauchemars, de rencontres surnaturelles se situent à mi-chemin entre le rêve et la réalité, entre la conscience d'une réalité historique et l'espoir d'un futur démocratique. Quoique le Moi lyrique souhaite s'évader par la poésie et le rêve, l'utopie, il est obligé de se confronter à la réalité historique, étroitement liée à la création poétique: le rêve est salvateur, mais il ne faut pas oublier pour autant les contingences historiques immédiates. Tel semble être le message du poète dans ces trois poèmes qui réécrivent les événements bibliques que nous avons cités.








Conclusion

La réécriture possède ainsi une fonction expressive indéniable; Raúl Zurita ne réécrit pas les événements bibliques afin de démontrer sa culture ou uniquement dans un objectif de beauté lyrique, mais plutôt comme outil de dénonciation des crimes, tortures, disparitions, commis par la Junte militaire. Ainsi, pour citer Jean Franco, «contre l'imposture du langage officiel, l'art élève une barrière du langage vrai»32. L'écriture, et plus encore la réécriture servent de lien avec la mémoire et l'Histoire. Elles jouent le rôle de conservation de la mémoire collective, de révélation de vérités tues par la Junte militaire, et c'est par la parole poétique que l'auteur se libère des tourments personnels et collectifs qui l'assaillent. Le poète lui-même déclare, lors d'un entretien début 2008:

Derrière les strates de tranquillité apparente où vivent les auteurs de notre époque, se trouvent des conflits plus profonds et des choses qu'on ne montre pas, mais qui y sont bel et bien. L'art va toujours fouiller dans ces zones: l'inégalité absolue, la violence, la condamnation de tant d'êtres humains à mener des vies terribles, dans un monde qui a toutes les ressources pour répondre aux besoins basiques de tous.33



L'auteur met ainsi en avant l'importance de l'évocation de réalités concrètes et cruelles dans les œuvres d'art (les poèmes), mais aussi l'espoir et l'utopie d'un monde capable de protéger et d'épanouir ses habitants. Ecriture et réécriture sont catharsis et, en même temps, elles permettent de mettre en œuvre le devoir de mémoire que s'assigne le poète, en reconstruisant une réalité historique grâce au langage poétique34. En outre, le sujet lyrique auquel s'adresse la voix toute puissante est capable de sauver son peuple, en le conduisant à la nouvelle terre promise, le Chili démocratique, par le biais d'images utòpiques et de rêves: telle est la mission de la poésie, selon Raúl Zurita. Par conséquent, la parole poétique zuritienne possède une fonction de libération, elle apporte un réconfort à ses lecteurs et livre un véritable combat contre la répression du régime autoritaire.



 
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