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«L'obscur objet du désir»: crimes de femme(s) dans l'oeuvre romanesque de Antonio Hoyos y Vinent (1844-1940)

Solange Hibbs-Lissorgues





No reconozco en usted sexo: no reconozco más que monstruosidad y los monstruos no se dividen en machos y hembras. Todos son igualmente horribles, igualmente odiosos.


Alejandro Sawa, La mujer de todo el mundo (1885)                


Ces paroles adressées par Luis à la Comtesse de Zarzal dans La mujer de todo el mundo, étude sans concession de la féminité transgressive, rappellent la fascination et le rejet de la femme séductrice dont la sexualité débordante représente une menace. Cette «monstruosité» est celle qui inspire les romans de Antonio Hoyos y Vinent dont un des romans intitulé El monstruo (1915) renoue avec la tradition littéraire des femelles vampires et diaboliques dépeintes dans la littérature romantique et décadentiste de la fin du siècle. L'œuvre de Vinent, démesurée et expressionniste, offre une description complexe du «dangereux» désir féminin. Un désir qui, dans ses manifestations perverses, se déploie généralement dans un environnement maléfique. Romans et nouvelles de cet auteur qui, après une période d'oubli, semble attirer à nouveau l'attention de la critique, sont imprégnés comme l'œuvre d'autres écrivains du naturalisme radical espagnol (Alejandro Sawa, Eduardo López Bago, Remigio Vega Armentero) des thèses d'anthropologues et criminalistes de la fin du XIXe et du début du XXe siècles: atavisme, folie, prostitution et crime sont la conséquence des altérations régressives de la nature. Si ces anomalies sont scrupuleusement analysées et classées dans une finalité de prophylaxie sociale, elles sont aussi le prétexte à une esthétique de l'outrance. L'influence de l'anthropologie lombrosienne et du déterminisme biologique qui tentent de cerner les maladies du corps social débouchent sur une iconographie de l'anormal et de l'excès: monde prostibulaire des villes, nymphomanie et dégénérescence physique, sexualité morbide empreinte de pulsions sadiques, crime. La littérature devient une espèce de «psychopathologie» (Badinter 2010: 18) où l'on retrouve le patrimoine iconographique de la femme fatale. Il est significatif à cet égard que Hoyos y Vinent ait fait référence dans l'épigraphe de son roman, El monstruo, à l'œuvre d'Octave Mirbeau, Le jardin des supplices (1899) dans laquelle le personnage féminin central, Claire, s'adonne à la luxure et au plaisir effréné1. Helena Fiorenzio, dans El monstruo, perpétue la lignée des femmes fatales présentes dans la littérature de fin de siècle: c'est une espèce de Messaline, figure emblématique de la débauche et de la destruction qui développe des passions monstrueuses et se livre à des débauches effrénées. Personnage stylisé comme Clorinda dans El banquete del Minotauro (1922), María del Rosario dans La procesión del Santo entierro (1917) et, jusqu'à un certain point, comme María de las Angustias dans El caso clínico (1916), la Fiorenzio est décrite comme la Minerve classique, la beauté unique, parfaite déité sculptée par Fidias. C'est aussi «la Sulamita bella como Jerusalén [...] y Salomé [...] y Aspasia y Mesalina y Lucrecia Borgia y la Brinvilliers» (Hoyos y Vinent 1915: 87). Espèce d'animal sauvage qui semble se repaître de la douleur et du sang, Helena Fiorenzio nous rappelle Cécily, la créole diabolique des Mystères de Paris (1842-1843) d'Eugène Sue, la Claire d'Octave Mirbeau dans Le jardin des supplices, «livre de chair» où mort et érotisme sont liés (Praz 1966: 165). Personnage emblématique qui, au-delà de ce qui pourrait paraître une simple convention littéraire (type de la femme fatale) représente une transgression dans la traditionnelle répartition des rôles sexuels: femme active qui domine la relation amoureuse, la suscite et l'exacerbe, provoquant ainsi la destruction morale; une transgression des rôles révélatrice des luttes qui tendent à redéfinir l'identité et la subjectivité la plus intime, des femmes. Face à cette femme vampire, espèce de mante religieuse qui tue le mâle et s'adonne à des pulsions sadiques, la fréquence du type de l'androgyne peut être un indice de cette confusion des fonctions et des idéaux que suggère Hoyos y Vinent (Ibid.: 180).


Hyperacuité des sens et exacerbation du réel

Le continent noir de la femme qui se dessine dans l'œuvre de Hoyos y Vinent, nous livre les forces obscures qui l'agitent: hystérie, névrose, sexualité hypertrophiée. Le comportement sexuel fantasmé de personnages comme María del Rosario, María de las Angustias, Clorinda, Helena Fiorienzo témoigne autant du mépris qui s'attache à la femme, ni procréatrice ni mère, que des peurs et désirs qui dominent l'imaginaire social. Si Hoyos est redevable jusqu'à un certain point à la littérature naturaliste qui se fixe pour but la peinture des réalités sociales et la froide observation de l'être humain, il a aussi une conscience aiguë de la proximité de la mort et de la maladie, d'une certaine inutilité du progrès et de la science, de la décomposition de la matière, reflet d'une décadence généralisée. Une sombre lucidité le pousse à fouiller les ombres des âmes et les désordres des corps tout en exprimant angoisses et fantasmes. Dans le sillage d'un George Huysmans, Antonio Hoyos y Vinent représente non seulement les excès de natures détraquées, la nosographie d'une société putréfiée mais aussi un «état d'âme: ce n'est plus seulement la réalité qui intéresse mais l'exacerbation du réel, du vrai jusqu'à atteindre l'abstraction et la stylisation. La délectation morose à dépeindre les excès devient une espèce d'exutoire spirituel (Praz 1966: 263). Ce sentiment de doute et de fin d'une époque s'exprime explicitement dès les premières lignes du petit roman El caso clínico, publié dans la collection des Novelas cortas. Le docteur Rodrigo Vázquez, homme de science brillant, dont l'idéal généreux, l'empathie avec autrui et les convictions éthiques sont un héritage du krausisme, a fondé un des premiers asiles où les fous et délinquants de toute sorte, sont traités avec compassion et humanité. L'harmonie entre la théorie et la réalité, entre les convictions scientifiques et les applications pratiques se rompt le jour où le docteur Vázquez prend douloureusement conscience des aberrations et mystères de la nature humaine et plus précisément de la pathologie monstrueuse de sa fille2. Les fissures qui entament les convictions de Rodrigo Vázquez sont à l'image de cette inquiétante monstruosité de l'être humain, et dans ce cas précis, de la femme: il ne peut exister une parfaite coïncidence entre la pensée, le progrès et la réalité ou du moins ce que l'on imagine être réel. Des zones d'ombres persistent et remettent en cause «la mentirosa careta de la ciencia que oculta las miserias de la vida real» (Ibid.: 4). Fissures de la fin du siècle, d'une époque de doutes et de crise où effectivement les anciennes convictions concernant le progrès s'effritent peu à peu laissant place à une quête d'un au-delà. Un effritement qui, comme le laissera deviner Hoyos y Vinent n'est pas très éloigné d'une crise religieuse. En contemplant le portrait de sa fille, María de las Angustias, le docteur Vázquez est pris de doute:

[...] no se atrevía a leer claro en aquel libro escrito con sangre de sus venas. El misterioso horror de un creyente que, de súbito descubriera que su dios era una superchería se adueñaba de él [...] La existencia entera de abnegación, de sacrificio, de renunciamiento, de nobles virtudes, el bien arrojado en derredor como se arroja una simiente que tarde o temprano ha de fructificar, la obra admirable de voluntad, de caridad, de ciencia y de amor en que había empleado toda su vida, ¿iría a abocar a aquella burla cruenta del destino?


(Ibid.: 5)                


Cette science qui devient inutile est cependant celle qui a imprégné tout le siècle et alimenté traités de droit pénal et d'anthropologie criminelle. Ouvrages qui, comme nous l'avons vu, déversent les menaces d'individualités et de types viciés par la nymphomanie, l'atavisme, et dressent un tableau souvent apocalyptique des critères psychologiques et physiques de la criminalité3. Même si l'expérience d'une sexualité féminine menaçante est brandie comme un avertissement moral et social, elle suscite une véritable fascination et une production artistique. Dans l'œuvre de Hoyos, les limites entre l'analyse psychopathologique et l'esthétisme sont ténues. Presque tous les personnages féminins qui peuplent des romans comme El caso clínico, El monstruo, El banquete del Minotauro, Las lobas del arrabal (1920), La procesión del santo entierro et des nouvelles comme La noche de Walpurgis et La santa, recueillies dans l'ouvrage El pecado y la noche (1913) souffrent d'un état psychologique morbide et affichent les symptômes d'une pathologie criminelle. Les descriptions de María de las Angustias dans El caso clínico ne laissent pas de doute quant aux altérations physiologiques du personnage et aux perversions sexuelles qu'elles entraînent. La première apparition de ce personnage est théâtrale accentuant ainsi le caractère tragique d'une présence dont la véritable identité n'est pas montrée; masque souvent impassible du visage qui, chez les femmes de Hoyos y Vinent est le lieu de tous les mystères mais aussi la révélation de la nature profonde reflétant encore une fois l'empreinte des sciences comme la pysiognomonie:

El caso clínico

En la magia otoñal, la tarde terminaba con escenografía de función de magia. No se veía a nadie; sólo se oían, lejanas, las canciones de los locos que jugaban en el jardín. De pronto apareció en lo alto de la escalinata del hotel María de las Angustias. [...] De cuadro tenía la blancura de nardo o de gardenia, la azulada sombra que cercaba los ojos, la acuosa transparencia de las pupilas verdes [...] Así, mientras descendía la escalinata que llevaba al jardín, sonreía con esta risa nerviosa sin motivo ni objeto, que es como la reverbación de misteriosa excitación que agita nuestros nervios, y al caminar, rompíase súbitamente, por un momento, la prodigios euritmia de su figura en un gesto de rabia o contento, que a ninguna causa exterior obedecía, sino más bien era reflejo de internos estados de espíritu [...].


(Hoyos y Vinent 1915: 10)                


Mise en scène qui accentue la rupture entre une normalité apparente et un univers mystérieux et glauque, reflet de l'exacerbation des sens et des instincts; outrance, reflet du vide qui, à la manière d'un tableau expressionniste, se donnent à voir comme la représentation hypertrophiée du désir et de la mort. Dans l'œuvre de Hoyos, le personnage, et plus précisément la femme, est considéré dans sa matérialité autant que dans sa mentalité: le personnage féminin devient ici un espace charnel, le siège d'affects et de pulsions que l'on peut raconter, identifier et styliser. Ce corps, dans sa matérialité se définit aussi par les interactions avec l'espace environnant. Environnement de la folie collective dans ce cas: María de las Angustias avance dans le jardin de l'asile qui, comme les rues des basquartiers de la ville où elle s'aventure par la suite, est un espace d'ombre, de clair-obscur permettant d'opposer l'intérieur et l'extérieur, la répulsion, le désir, l'impuissance et la jouissance. Comme chez d'autres écrivains de l'époque, Hoyos y Vinent livre cette «métonymie généralisée du corps et du lieu» (Mitterand 1984: 68).

Les stigmates de la folie omniprésents dans l'asile du Rodrigo Vázquez donnent lieu à l'évocation du bestiaire qui peuple ces lieux, bestiaire dont María de las Angustias est à la fois l'ordonnatrice et la victime. La première apparition de ce personnage féminin est suivie d'une plongée dans le monde révulsé de la folie quotidienne, folie qui prend d'ailleurs les traits d'une autre femme misérable et difforme, espèce de symbole de l'horreur intérieure qui habite la fille du docteur Vázquez: «Realmente, de mujer, la aparición tenía poco o nada. Más que criatura civilizada, parecía aquello un habitante de las cavernas» (Hoyos y Vinent 1915: 11).

Le corps déchu de la vieille folle n'est que l'envers de celui de María del Rosario dont la détérioration progressive culmine, à la fin de cette nouvelle sur l'évocation hideuse d'un cadavre mutilé: exhibition expressionniste d'un corps où la libération par la mort de toutes les énergies refoulées le réduit à un néant ontologique.

Les signes de la perversion de la fille du docteur Vázquez se manifestent dans son comportement avec les aliénés. Elle éprouve «una curiosidad malsana que la llevaba a escrutar el sedimento de realidad de la tragedia» (Ibid.: 11). Son imagination détraquée nourrit ses phantasmes et les pulsions sadiques où mort et jouissance se mêlent: «Había tan solo [...] una plasticidad imaginativa que le presentaba los cuadros lúbricos, sangrientos y terroríficos con claridad cinematográfica» (Ibid.: 12). Avec minutie physiognomonique, l'auteur scrute les «déviances morbides» de son personnage qui se reflètent dans son visage et dans son regard: sa peau est d'une blancheur translucide, des ombres violacées encerclent ses yeux. La névrose de María de las Angustias est décrite avec la précision médicale de quelqu'un qui connaît les troubles de la phobie et de l'asthénie:

Una inmensa aridez lo invadía todo, atroz sequedad espiritual resquebrajaba el terreno baldío, y por las enormes grietas, como en un cataclismo geológico, desaparecían ideas y sentimientos. Toda su vida espiritual vacilaba entre una alegría nerviosa, desordenada, que se deshacía en risas, en gritos, en gestos violentas y en canciones, y una tristeza inmotivada, gris y opresora que le hacía agonizar de tedio, tristeza plomiza que le sumía en una modorra hosca, haciéndole pasar horas y horas con los ojos fijos en un punto imaginario, los labios crispados y sin otra señal de vida que algún gesto de desesperación esquivado de vez en cuando.


(Ibid.: 17)                


Ces phobies obsessionnelles la mènent à la destruction et au rejet de son corps qu'elle cherche à avilir par tous les moyens en se livrant à la prostitution: «Como una ramera, salía ahora todas las noches a prostituirse por los caminos. Eran unas horas de lujuria, de brutalidad y de miseria, unas horas en que se hundía en el fango, en que vivía la más inmunda abyección, en que su cuerpo sufría todas las torturas físicas y su alma llegaba al límite de las degradaciones» (Ibid.: 20).

La transgression qu'elle commet est doublement «criminelle» dans la mesure où la sexualité est détournée de sa fonction première, la procréation mais aussi dans la mesure où ce sont les pulsions masochiste et sadique qui provoquent la jouissance. La nymphomanie apparaît comme une pulsion insatiable qui détraque la femme mais qui menace aussi l'homme. Sans porter un jugement de valeur explicite, l'œuvre de Hoyos y Vinent projette dans les représentations animales et félines des femmes qui peuplent son univers romanesque les craintes face aux manifestations d'énergies sexuelles féminines qui échappent aux normes et codes: avant de s'aventurer pour la première fois dans les quartiers mal famés de la ville, María de las Angustias affiche «un sourire maléfique, férocement sarcastique» et «le froncement animal de ses lèvres laisse entrevoir des dents de carnivore, blanches et affilées» (Ibid.: 17).

La paralysie psychique, le basculement dans la mort s'exhibent à travers le bestiaire des bas quartiers où, comme dans tous les autres romans, nymphomanes et criminelles sexuelles s'aventurent. La description d'une humanité grouillante emprunte sans aucun doute les stigmates de la dégénérescence à des œuvres comme celles de Lombroso ou de Bernaldo de Quirós; dissymétrie du visage, bouches distordues, yeux exorbités, traits grossiers qui sont à la fois la marque de la misère sociale et morale: «En unas ruinas, unos golfos medio desnudos, comidos de miseria, se calentaban en una hoguera. Eran los tipos clásicos, de achatada y ancha nariz, salientes pómulos y gruesos labios, que mostraban en las muecas canallas los dientes negros de tabaco, de mercurio y de porquería, mientras los ojos de ratón se achicaban de modo inverosímil» (Ibid.: 19)4.

Le monde souterrain des villes, si omniprésent dans l'œuvre d'un auteur comme Hoyos qui revendique la déambulation nocturne dans les bas-fonds urbains et la captation des ombres et lumières, est un environnement affranchi des codes habituels où peuvent s'assouvir les désirs les plus fantasques et cruels. Monde urbain où l'angoisse du crime est suscitée sur fond de misère des faubourgs et où la pauvreté et l'abandon sont propices à la dégénération physique et mentale. Un monde que Hoyos montre dans les conditions réelles de son existence: classe laborieuse exploitée, misérable et par là même dangereuse et même monstrueuse, monde qui «qui fait honte et qui fait peur et qu'on interdit de littérature, sauf pour les effets de fantastique et d'horreur» (Mitterand 1984: 60)5. Les désordres et anomalies de la constitution féminine apparaissent sous la forme de signes précurseurs dans d'autres œuvres citées. María del Rosario, fiancée à Casiano, agriculteur et fils de petits nobles ruinés, affiche une personnalité trouble où l'on devine une sensibilité excessive et une constitution nerveuse déréglée. Elle finit par s'abandonner à la prostitution et lorsque Casiano revient de la guerre de Cuba, il découvre une femme dont la sexualité exacerbée par sa passion pour un toréador, la livre à une débauche sado-masochiste. La stylisation de ce personnage dont la «beauté hyperbolique» l'assimile à une représentation symbolique, s'apparente plus à l'incarnation de la femme fatale qu'à une analyse réaliste de la nature féminine. María del Rosario n'est là que pour mettre en évidence la dégénération de la race, celle de Casiano, d'une sensibilité morbide et dont la virilité n'est pas affirmée: «Casiano era delicado y sentimental; fino, endeble, una sensibilidad enfermiza hacia de él un ser de impresionabilidad casi femenina» (Hoyos 1916: 28).

Hoyos y Vinent précise que cette dégénération de la race est atavique et fonctionne comme le signe avant-coureur d'une dissolution qui menace le corps social tout entier puisque à la perte de virilité des hommes, s'oppose la masculinisation des femmes. Tout au long du roman, les femmes prennent le dessus, régissant le petit monde prostibulaire qui a envahi l'ancienne maison de maître. Casiano est physiquement et moralement impuissant face au rôle sexuel et social des femmes qui l'entourent: sa mère vit avec un proxénète et María del Rosario le transforme en témoin passif de sa débauche sexuelle Dans un dénouement tragique, où se produit l'accouplement entre Carmelito, le toréador blessé et recueilli par María del Rosario et celle-ci, chair, sang et humeurs se mélangent dans une décomposition de la matière, à l'image d'une société pourrie par l'oisiveté, la crise économique et la corruption6. Le mouvement de déclin et de chute traverse toute l'œuvre de Hoyos y Vinent: mouvement de chute qui est celui d'une tragédie comme dans El banquete del Minotauro où Clorinda est atteinte d'une profonde névrose, détectée dès sa jeunesse. Devenue duchesse de Belmonte par son mariage, Clorinda est une «semi-déclassée» qui s'ennuie et qui éprouve une délectation morbide propre à un organisme déréglé comme l'évoquent les premières lignes du roman:

Esta vez la sensación perduró. Era una rara sensación de debilidad, vencimiento físico, ansia de entrega y de renunciamiento, distensión nerviosa que tenía mucho de voluptuoso y mucho de doliente. Todos sus nervios se atirantaban como cuerdas de un arco formidable que fuese a lanzarle a no sé qué ignorados abismos, y luego, a la impresión primera, sucedía debilidad plena de enfermizo encanto, exasperado hasta llegar a una agonía deliciosa de todo su ser.


(Hoyos 1922: 3)                


Elle a toutes les caractéristiques de la «femme fatale» dont la description par Hoyos reflète la stylisation habituelle de ses personnages féminins: peau d'une blancheur éclatante qui cache le caractère malsain de sa constitution sclérosée, des yeux cernés d'ombres et son visage d'une inquiétante mobilité est traversé par des spasmes imperceptibles révélateurs de son agitation nerveuse.

El banquete del minotauro

Comme María de las Angustias dans El caso clínico, elle est atteinte d'une profonde névrose ou scission de l'âme: «Era la suya una hermosura de llama, una de esas hermosuras que parecen consumirse en su propio fuego; hermosura de tísica o de loca, de poseída o de iluminada» (Ibid.: 4). Dépourvue d'affectivité, cruelle son comportement mêle luxure et férocité. Dans ce cas aussi, l'éréthisme mène à la dissolution de l'être: Clorinda fait le même parcours initiatique que María de las Angustias ou Helena Fiorenzio dans les bas quartiers de la ville où elle rejoint une humanité éloignée de tous les codes sociaux. Cet affranchissement sexuel et social prend aussi la forme d'un rite, celui du masque, qui dissimule la véritable identité pour ne laisser la place qu'à ce qui compte vraiment: la nature profonde avec ses pulsions secrètes et ses instincts les plus primaires7. Cette dégradation consciente revêt une dimension sadique et masochiste. Pour Clorinda, souffrance et jouissance sont la même chose, dans un au-delà du plaisir sexuel, dans une tension où les extrêmes annulent son être. L'état d'excitation hyperesthésique qui débouche sur la cruauté lui permet d'échapper à toute prise et devient le signifiant d'un infini que la dépasse8.

Les scènes de cruauté sadique ponctuent la lente annulation du personnage: c'est d'abord le déchaînement de violence sadique lorsque le contremaître de son père à Cuba tente de la violer. Clorinda est une espèce d'Euménide cruelle et féroce pour laquelle le sang a des vertus aphrodisiaques: «Luego, borracha ya de sadismo, continuó aún azotando, cruel, implacable, sanguinaria y fiera [...]» (Ibid.: 15). A un autre moment de son existence, elle s'acharne à nouveau, dans une violence furieuse, sur un jeune lad anglais qui veut la séduire: «Con la fusta de montar le azotó hasta hacerle sangre; luego arrastrada por aquel misterioso torbellino que la llevaba hacia no sé qué abismos de locura [...], siguió sin tregua ni descanso, hasta dejarle ensangrentado y medio muerto, tendido en el suelo» (Ibid.: 16).

Femme séductrice elle commet des crimes mais incite les autres à en commettre comme le dévoile la fin du roman où Clorinda et son époux sont menacés par l'amant qui la poursuit. Femme criminelle, elle est condamnée et reléguée à n'être «qu'une femme comme les autres», sort ambigu car la véritable déchéance semble être, comme l'affirme Hoyos y Vinent, la normalité, plus monstrueuse que l'exception. Ou peut-être est ce aussi le retour à une certaine dimension humaine et spirituelle, aboutissement de la crise de soi et des autres.

Dans El monstruo, Helena Fiorenzio franchit elle aussi tous les seuils interdits et illustre les ravages d'une sexualité qui n'est plus soumise aux règles et prudence sociale. Elle manifeste une volonté sexuelle inassouvie, volonté à laquelle elle est prête à soumettre sa vie et celle des autres. Elle concentre les traits de la criminalité sexuelle présents dans les autres personnages féminins de Hoyos: Sol (El árbol genealógico), María de la Paloma (El crimen del fauno). Dans les premières pages du roman qui retracent la préhistoire de Helena, l'environnement misérable et la misère la contaminent. Fatalité sociale et poids d'un environnement propice à la déchéance qui rappellent que la prédisposition au crime est atavique. Helena qui prend un certain plaisir dans l'avilissement dont elle est victime, exhibe les traits caractéristiques de la criminalité féminine:

De la primera parte de su vida no conservaba sino un recuerdo confuso, como el que guardamos de una pesadilla. Días de hambre y noches de frío; malos tratos, brutalidades y promiscuidades inmundas; barrios miserables y viviendas asquerosas; antros patibularios, tabernas zolescas, calles lúgubres y temerosas; acechos policíacos, huidas en las tinieblas, acosos terribles en que los hombres perseguidos se defendían como fieras, y escenas interminables de barbarie, de grosería y de concupiscencia. [...] Un día pasó un hombre, uno cualquiera, un chulo, un tahúr, y fue suya indiferente, fatal, convencida de que las mujeres, como las rosas, están para eso, para que las coja el primero que pase [...] Rodó por prostíbulos de baja estofa, conoció las brutalidades de los machos exasperados por el vino y la lujuria [...]. Inconscientemente, en su alma había un venenoso deleite por todo lo bajo, obsceno, hediondo y miserable; una delección morbosa hacíala temblar y palidecer hasta una agonía llena de espasmos de brutalidad ante las escenas de burdel.


(Hoyos y Vinent 2009: 52-53)                


Même l'anatomie de Helena est présentée comme un destin: semblable à la Nana de Zola qui renferme tel un vase toute la pourriture du siècle. Elle est d'une blancheur translucide, d'une étrange pâleur qui suggère la mort: «un tono verdoso inquietante, que hacía pensar en la maravilla de un cuerpo bellísimo lleno de pus, de un vaso prodigioso de alabastro lleno de podredumbre» (Ibid.: 86). Comme Nana d'ailleurs, femme dévoratrice et immonde, elle appartient plus au mythe qu'à l'histoire sociale et exprime les hantises propres à l'époque: hantise de la maladie, de la contamination, crainte face à l'émergence de nouvelles énergies sexuelles qui mettent en péril les valeurs de la féminité.

L'incipit du roman, telle une mosaïque d'estampes exotiques et érotiques fonctionne comme un méta-texte qui condense toutes les violences sexuelles et les perversions que Helena Fiorenzio commet jusqu'au point de dissolution extrême: celui de son pourrissement physique dû à la lèpre. Ce basculement dans la mort se réalise dans un univers éloigné, aussi exotique que celui de l'incipit, dans une ville chinoise indéterminée où la déchéance physique n'est qu'une des étapes d'un cycle naturel. La structure cyclique du roman s'apparente à un rituel à la fois vital et mortuaire, indiquant peut-être, au-delà de la transgression des valeurs traditionnelles, une exigence de transcendance. Car la mort n'est jamais vraiment loin et la contemplation de la misère physiologique et de la détérioration physique provoque la prise de conscience de la finitude humaine. Le paroxysme de la douleur et de la maladie fonctionne comme un révulsif qui permet à Helena d'accéder à une certaine quête spirituelle:

¡Dios mío! ¡Dios mío! ¡Ten piedad de mí!

Con las uñas, con los dientes, desgarrábase las carnes, se azotaba, se martirizaba. La sangre mezclada con el pus, salía de las heridas, y la mísera gemía, gemía siempre:

¡Dios mío! ¡Dios mío! ¡Ten piedad de mí!


(Ibid.: 182)9                


Dans ce roman comme dans El caso clínico et La procesión del santo entierro se produit une inversion des valeurs sexuelles mais également religieuses et sociales qui dépasse la simple esthétique de la monstruosité et de l'horrible.




L'inquiétante étrangeté féminine

Car la figure du crime nourrit toutes les ambiguïtés et les corps des femmes criminelles sont remarquables par leur beauté et leur perfection. Cette transgression des catégories traditionnelles de la physiognomonie aboutit à une extrême stylisation des femmes qui se haussent au rang de symbole et de mythe. Symbole de la femme fatale dont les représentations iconographiques sont celles de l'époque comme le reconnaît l'auteur de La procesión del santo entierro: «María del Rosario, con sus gestos rígidos, un poco automáticos y su mirada fija, vehemente, y al mismo tiempo lejana, era la encaminación de la Castidad o de la Venganza, una de esas simbólicas figuras de virgen fuerte que en la moderna iconografía son abstracciones de una idea» (Hoyos y Vinent 1914: 25).

La beauté hyperbolique de María del Rosario met en scène la violence du monde intérieur. Femme à la chevelure noire comme celle de Egon Schiele (1890-1918) ou d'un Gustav Klimt (1862-1918), elle se situe dans la lignée des femmes cruelles et hiératiques dont la représentation alimente l'imaginaire social: femmes vénéneuses dont la beauté ne peut être que le reflet du mal, femmes diaboliques et prédatrices, éternel féminin tyrannique qui s'alimente aux sources littéraires de Barbey d'Aurevilly, de Flaubert et de Huysmans10.

L'extrême stylisation qui emprunte souvent aux techniques expressionnistes est une mise en abyme des tensions qui habitent les personnages féminins: hiératisme et exacerbation extrême du désir, jouissance effrénée et horreur de la mort. La constante mise en perspective des contraires génère une esthétique de la démesure: traits tendus et figés dans un mouvement qui est celui de la crispation intérieure11.

Chez María del Rosario, Clorinda et Helena Fiorenzio, la bouche et les lèvres sont une meurtrissure permanente. Lorsque Casiano contemple celle qui fut sa fiancée, il ne voit que «la cruel herida de los labios lascivos» (Hoyos y Vinent 1914: 99). Le contraste des couleurs sombres et violentes, tel un tableau ténébriste, rehausse l'ambivalence du personnage féminin, perçu comme une menace: «geranios rojos en el pelo de azabache, en la macilenta palidez del rostro sangraban los labios como una puñalada» (Ibid.: 135).

Clorinda est la parfaite illustration de cette ambivalence qui habite tous les personnages féminins de Hoyos. Extérieure au monde où elle évolue, elle ne semble atteindre une dimension réelle qu'à la fin de son parcours de déchéance: hors du temps elle est semblable à un masque tragique, «à l'héroïne d'une tragédie archaïque» (Hoyos 1922: 4). Déclassée, elle est le «produit» d'une étrange mystification:

Hasta entonces su existencia, salvando los episodios bárbaros de su juventud, había sido afectada y trivial, toda ella una formidable mixtificación. Mixtificación su convencional arribismo, mixtificación su afán de triunfos mundanos y sociales y mixtificación también aquel vivir cosmopolita en una postura de ausencias de sentido moral.


(Ibid.: 36)                


Une existence vide et frivole qui occulte derrière un luxe apparent, l'horreur du vide et de l'existence. Face à ce vide c'est le vertige de la perversité qui se manifeste par la violence des contrastes. Couleur crue et sanglante de la bouche qui fascine et révulse, espèce de métonymie dégradante révélatrice de l'instabilité et de l'angoisse:

Avanzaba lenta, altiva, ausente y afirmadora. El rostro muy blanco, había desdeñado pintárselo, y se destacaba en su peregrino perfil de camafeo, mientras los labios, tras la nube del velo nupcial, sangraban, crueles, lascivos, imposibles [...] Fíjense ustedes en la boca... parece una herida mortal... Tiene sangre, una sangre que no calmó su voracidad crispada...


(Ibid.: 12)                


Cet état morbide qui permet l'exploration de toutes les possibilités de l'âme est celui de Helena Fiorenzio, personnage extrême dans la production romanesque de Hoyos et qui reflète de façon paradigmatique ce vitalisme amoral qui pousse à la transgression et au rejet de tous les codes sociaux. La sexualité perverse de Helena la mène à la destruction et au crime; d'abord la mort morale de Marcelo, puis la mort physique de Manuelito le toréador et, pour finir, l'anéantissement d'elle-même: «Había vivido una horas de horror sabático, unas horas de sangre, de lujuria y de muerte; unas horas dignas del alma atormentada de un Gilles de Reis, de una Brinvilliers, de un Sade, de una Mesalina. En ellas, desligada de todo lazo social, entregóse a la voluptuosidad y al dolor» (Hoyos 2009: 9).

Dans ce cas la destruction est le lent pourrissement imposé par la maladie, la lèpre, maladie qui confirme l'ambivalence essentielle du personnage et qui semble la mener vers la prise de conscience de la mort. L'expérience douloureuse de son corps, de cet envers du plaisir, est matérialisée par l'exploration tragique du musée de cire où Helena s'initie «à l'atroce réalisme de la vie» (Ibid.: 192). Déambulation initiatrice comme toutes les déambulations des personnages de Hoyos, qu'il s'agisse des faubourgs obscurs des villes, ou de contrées lointaines et parfois exotiques. Cheminement spéculaire où la Fiorenzio découvre son propre mal à travers la représentation des personnages de cire, torturés et lacérés par la souffrance et la lèpre, «le mal biblique, mystérieux et épouvantable, châtiment divin» (Ibid.: 140). C'est une espèce de purgatoire annoncé par les noms des salles, El Reino del Crimen, El Reino del Tormento, El Reino de la Muerte, semblable à celui de María del Rosario et de Casiano dans La procesión del Santo entierro12.

Si ce purgatoire mène au désespoir, désespoir du vide, il mène aussi à la sublimation de la mort. Ce n'est pas un hasard si la possibilité d'accéder à une autre dimension dans la conscience de soi et de la mort, se produit dans une lointaine ville du sud de la Chine où la criminelle de El monstruo s'est réfugiée pour mourir. Dans ce qui devient un panthéon, Helena vit entourée d'une nature où coexistent Eros et Thanatos, et où la décomposition de la matière génère un autre cycle de vie, «où la pourriture donne naissance à de prodigieuses fleurs» (Ibid.: 154). Il est significatif à cet égard que Hoyos situe les derniers moments de la vie de la Fiorenzio dans un pays où prédomine un certain stoïcisme oriental (Alfonso García 1998: 146). Les contraires se retrouvent affirmant ainsi l'impermanence du monde, une forme fluide de l'univers où la mort ne peut être ressentie sans la renaissance. Les fleurs mosntrueuses qui peuplent les jardins du palais mortuaire, métaphore de la monstruosité de Helena, sont aussi le signe d'un renouveau:

Las muñecas seguían sonriendo con sus perpetuas sonrisas estereotipadas, como si se tratara de una bella narración o de un viejo verso de Li-Tai-Pe. A ellas, como a todos los de su raza, la muerte no les parecía cosa horrenda, ni la podredumbre ponía escalofríos en sus espaldas. Acaso, ¿la podredumbre y la muerte no eran fuentes de belleza? ¿No nacían de la corrupción aquellas flores prodigiosas recreo de la vista y regalo del olfato?


(Ibid.: 170)                


Un autre sens peut être donné au vide qui suit le basculement paroxystique dans la violence et l'anéantissement comme le suggère la proximité entre érotisme, sensualité et mysticisme. Un mysticisme sans Dieu qui n'implique pas un renoncement total puisque l'érotisme et la sensualité permettent de repousser les limites et de trouver une dimension autre que celle d'un vide total. C'est cette tension entre les extrêmes qui conduit Helena Fiorenzio à sa dissolution finale. Tous les états morbides ressentis se transforment épisodiquement en moments de compassion lorsqu'elle vient en aide à la population chinoise dévastée par la peste et la poussent par ailleurs à vivre la jouissance de la douleur comme un dépassement: «Tempestades lúgubres de cruel misticismo, huracanes de pasión, terremotos sentimentales, asolaban el ánima conturbada de la infeliz. Sentía el horror de la muerte y el amor de la muerte; el espanto del pecado y la divina atracción del pecado; el horror del tormento y un misterioso amor al tormento mismo» (Ibid.: 193).

Libération mystérieuse donc que celle de ces forces parfois criminelles, recherche de limites qui affirment la liberté et aussi la conscience inéluctable de la finitude. L'excès dans le délit et l'anomalie, dans la monstruosité semblent être, dans le cas de Hoyos y Vinent et des femmes qui peuplent son œuvre, plus qu'une simple recherche esthétique et décadente. Il traduit peut-être la ligne de faille qui sépare la volonté lucide de l'exploration de la réalité de la perception d'autres dimensions rapprochant ainsi Hoyos y Vinent d'un certain naturalisme spiritualiste.




Erotisme sacrilège et transgression esthétique

Comme cela a été suggéré avant, la mise en scène de l'angoisse de la mort, du vertige «ontologique» des personnages féminins aboutit parfois à une inversion des valeurs religieuses. C'est alors que s'élabore une véritable liturgie sexuelle au cours de laquelle le meurtre acquière le caractère d'une manifestation de forces cachées, espèce de porte ouverte sur l'absurdité et la brutalité du monde. Cette zone d'ambivalence est particulièrement prégnante dans El caso clínico et La procesión del santo entierro.

Le parcours du corps et de la névrose de María de las Angustias dans le premier roman cité est organisé comme un rituel qui l'amène à un erotisme sacrilège. Au cours de ses promenades dans le jardin de l'asile, elle rencontre Jesús, el renegado, qui, comme son nom l'indique, symbolise l'antéchrist. Prêtre satanique, qui n'est pas sans évoquer certains personnages des romans de Huysmans, il permet à Hoyos de mettre en scène une représentation blasphématoire et sacrilège de l'eucharistie. Folie, démence et cruauté se mêlent dans ce personnage accompagné par trois «fidèles» dont les noms ont une consonance biblique, Simon, Lázaro et Juan. La parodie déformante et grotesque qui s'opère avec le prêtre implique un renversement de toutes les valeurs religieuses traditionnelles: «Era Jesús, el renegado, que ataviado con los restos de las vestiduras talares le acogía con un gesto mitad litúrgico, mitad grotesco. Sacerdote antaño de fe plástica y sensual, atraído luego por los misterios de la magia y el ocultismo, expulsado de la Iglesia, excomulgado y anatemizado bajo la acusación de herejía, había acabado por enloquecer con las prácticas de la nigromancia, en que mezclaba no sé qué sensualismo satánico y satiriaco» (Hoyos y Vinent 1914: 12).

Le rapprochement «sacrilège» entre le sacré et le païen, le rituel chrétien et le geste blasphématoire s'inscrit dans cette esthétique irrévérentieuse et de la démesure de Hoyos y Vinent mais acquière, au-delà d'une manifestation simplement littéraire où convergent l'attrait pour l'occultisme, le démoniaque et l'outrance expressionniste, une signification ontologique: celle qui sous-tend la quête effrénée du plaisir et de la jouissance de ses personnages féminins. Au-delà de ce sentiment de décadence, de fin de monde qui se traduit, chez d'autres romanciers comme Zola, Jean Lorrain et Huysmans, par une littérature parfois apocalyptique, transparaît le besoin douloureux d'atteindre une autre dimension spirituelle13. La parodie de la messe et de l'eucharistie, cérémonie noire et satanique, révèle encore une fois cette tension entre les contraires et livre le spectacle du néant et de la destruction. Une mise en scène qui implique la subversion des valeurs religieuses chrétiennes annonce, dans la chapelle abandonnée de la propriété du docteur Vázquez, la mise à mort de María de las Angustias, vierge qui doit être sacrifiée: «He hablado anoche con el Gran Cabrón y me ha dicho que lo que hace falta es resucitar las misas negras. [...] Ahora estoy buscando el vientre de una virgen para piedra de altar...» (Ibid.: 13).

De façon paradoxale et monstrueuse c'est à travers María de las Angustias, qui se prostitue, que doit s'opérer cette rédemption d'une humanité perdue. La liturgie sexuelle et macabre prend tout son sens dans cette dévalorisation d'une société assujettie à des règles et à une double morale. Dans El caso clínico, le satanisme n'est qu'une déviation du mysticisme et le rapprochement entre le sacré et le profane, comme dans El monstruo où Helena s'adonne à la compassion chrétienne et à la luxure en même temps, n'est autre que la représentation de cette instabilité du monde et de la frustration vitale.

C'est le même désordre qui est donné à voir dans La procesión del santo entierro où la scène de luxure de la fin du roman, scène d'accouplement à la fois sanglant et sensuel de María del Rosario et de son amant sous les yeux d'un Casiano moribond, se déroule au même moment que la procession du vendredi saint. Mort et luxure convergent dans un mysticisme érotique où s'abolissent les limites entre la vie et la mort. Le détournement religieux et symbolique est constant dans ce roman où, de façon ambigüe, l'auteur nous fait assister au délire et aux hallucinations de Casiano dans l'église face au Christ crucifié, représentation de son propre supplice à la fin du récit. L'évocation du martyre chrétien se transforme progressivement en une vision de la luxure et de la mort où l'image de María del Rosario, femme criminelle et voluptueuse, se transforme en monstre: «y era, en fin, María del Rosario, enigmática y lasciva, María del Rosario convertida en un monstruo de la Apocalipsis que llevase en sí, con el germen de lujuria, el germen de la podredumbre y de la muerte. Y toda aquella informe masa, pululaba en el hervir de la santa sangre del Redentor, se retorcía, chirriaba, se acoplaba en una contradanza monstruosa» (Ibid.: 91).

Il s'agit là de la symbiose ultime du sacré et du profane comme dans El monstruo.

Loin de rendre hommage à un féminin suprême, l'œuvre de Hoyos y Vinent qui porte peut-être aussi en elle la détestation de l'homosexuel qu'il est pour certaines âpretés féminines, explore les ravages d'une sexualité détournée de la procréation. Il y a chez lui une pose d'esthète fasciné par une certaine dissolution du temps et des normes, par le clair-osbcur de l'esprit et du corps. La femme criminelle l'est parce qu'elle tente, par toutes les transgressions possibles, d'aller au-delà des limites sociales, religieuses et morales. Les limites transgressées sont d'autant plus inquiétantes qu'elles impliquent la subversion des rôles. Cela est dans l'air du temps et Hoyos ne fait que s'approprier les images et obsessions qui hantent l'imaginaire social. Mais cette surreprésentation de la réalité instille la relativité et l'imprécision du réel. Faut-il voir dans cette quête de l'extrême, celle de Hoyos y Vinent lui-même, narrateur-voyeur permanent, dont les déambulations existentielles et nocturnes sont une forme de résistance face à la normalité trompeuse des êtres et des choses? Son œuvre romanesque, dont nous n'avons proposé que quelques exemples, échappe à toute catégorisation réductrice et reflète, à travers les contradictions du personnage-romancier, du romancier-personnage, les fluctuations, vacillements et doutes d'une époque qui ne se satisfait plus des seules certitudes du progrès et de la science.








Bibliographie

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