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ArribaAbajoLes cultures de l'exil espagnol en France, 1939-1975: de la sauvegarde de l'identité à l'ouverture

Geneviève Dreyfus-Armand


BDIC-CERMI


...la Muse me console dans mon voyage vers le Pont, lieu qui m'est assigné; elle est demeurée la seule compagne de mon exil, elle seule est sans peur au milieu des embûches, et ne craint ni l'épée du soldat, ni la mer, ni les vents, ni la barbarie...

...ma Muse qui me visite en de si grands malheurs, trouve la force de revenir à ses rythmes et à son culte d'autrefois.


OVIDE, Tristes, livre IV, 1, 19-24                


L'exil, le bannissement, l'éloignement de la terre natale a toujours provoqué chez les hommes qui les vivaient le désir de se relier de quelque manière à leur lieu d'origine, par la poursuite de pratiques anciennes, le maintien d'un environnement culturel, l'activité politique ou la création artistique. Ovide, banni de Rome au 1er siècle de notre ère et assigné à résidence dans la ville de Tomes, dans le Pont-Euxin -aujourd'hui située en Roumanie-, déclare déjà que seule sa Muse le console dans son exil, qu'elle est la seule compagne de son exil, ne craignant ni l'épée du soldat, ni les vents, ni la barbarie.

Pour les réfugiés espagnols de la Guerre civile, exilés loin de leur pays natal, sans possibilité de retour proche, l'activité culturelle a joué également un rôle fondamental. On commence à présent, grâce notamment aux travaux pionniers de José Luis Abellán et de Francisco Caudet, à bien connaître l'activité culturelle -entendue au sens large du terme- des émigrés républicains en Amérique latine. Il est vrai que toute une génération intellectuelle, l'une des plus créatives qu'a donnée l'Espagne -notamment celle de 1927 pour la poésie-, a presque entièrement quitté la Péninsule pour prioritairement aller en Amérique latine, où la communauté de langue lui offrait de meilleures possibilités d'insertion culturelle et professionnelle que la France. Marqué entre   —38→   autres par l'attribution, en 1956 et en 1959, des prix Nobel de littérature et de médecine à Juan Ramón Jiménez et à Severo Ochoa, le prestige intellectuel des exilés «américains» a longtemps masqué la place et le rôle de la culture dans l'émigration républicaine en France3.

C'est pourtant de l'activité culturelle des exilés espagnols en France dont il sera question présentement, pour deux raisons qui me paraissent déterminantes. L'immense majorité des réfugiés de la Guerre civile espagnole sont restés en France et ont constitué, après la Seconde Guerre mondiale, le groupe d'exilés de loin le plus nombreux. Pour l'exil républicain de France, devenu très rapidement le centre de l'activité politique de l'exil, son «coeur»4, la culture a joué un rôle déterminant. On peut affirmer que l'une des tâches importantes que se sont immédiatement assignée les émigrés de 1939 en France a été la sauvegarde de l'héritage culturel de la Seconde République; c'est probablement d'ailleurs celle dans laquelle ils ont le plus admirablement réussi, si tant est que l'on puisse tirer un «bilan» de plus de trente ans d'exil. La caractéristique essentielle des cultures de l'exil espagnol en France réside dans cette volonté de sauvegarder l'identité culturelle hispanique; cet effort constant de maintien d'une cohésion identitaire s'accompagne cependant d'une ouverture et d'une rencontre avec d'autres cultures européennes -tout particulièrement la française.

Il s'agira donc de décrire les lieux, les formes et les vecteurs d'expression des cultures de l'exil républicain en France5, pour mieux saisir comment s'articulent maintien de l'identité et ouverture vers d'autres cultures. L'attention ne sera pas portée uniquement sur les revues littéraires et la création artistique, sur la culture des «élites», mais autant que possible, dans la perspective d'une approche globale des cultures d'exil, sur les modes d'expression culturelle, les objets symboliques et les représentations collectives de l'exil. Trois périodisations peuvent être effectuées, sans pour autant marquer une frontière étanche entre elles:   —39→   les premiers mois de l'exil, l'après-guerre mondiale et les années soixante. Ces trois phases sont caractérisées respectivement par la volonté de poursuivre la vie culturelle de la Seconde République, par la sauvegarde de l'héritage culturel hispanique libéral et par une ouverture croissante vers d'autres cultures. Même si ces différents éléments peuvent se conjuguer tout au long de l'exil, il est clair que la tendance générale de chaque période peut se définir ainsi et que le «métissage» des cultures, entrepris dès les premiers temps de l'exode, se développe et s'épanouit au cours des années, à mesure que l'exil considéré comme provisoire devient définitif pour beaucoup.


ArribaAbajoLes débuts de l'exil: continuation de la vie culturelle de la Seconde République

En 1939, dès les premiers mois de leur arrivée en France, les réfugiés éprouvent l'impérieuse nécessité, intellectuelle et morale, de poursuivre purement et simplement la vie culturelle de la République qu'ils ont défendue, tant il est impératif de continuer à exprimer et à diffuser la pensée qui a été le moteur de leur combat pendant trois ans. Pour pouvoir surmonter la défaite et l'exil il est impératif pour les exilés de garantir la survie d'une identité culturelle. De même que la lutte contre les nationalistes en Espagne s'est largement faite au nom de la défense de la culture, l'exil se veut aussi une résistance culturelle.

La Généralité de Catalogne en exil patronne, dès décembre 1939, la création, par le Conservatoire de la culture catalane, de la Fundació Ramón Llull, «la plus ambitieuse et planifiée de tout l'exil»6. La Fondation qui porte le nom du philosophe mystique et romancier du XIIIe siècle, père de la littérature catalane, déploie une activité considérable de sauvegarde de la culture catalane, en aidant intellectuels, artistes et étudiants en exil, en organisant une bibliothèque et en assurant la liaison avec les Catalans d'Amérique. Et, très symboliquement, la Fundació Ramón Llull reprend dès décembre 1939 la publication de la Revista de Catalunya, éditée à Barcelone depuis 19247. Il s'agit de la première revue culturelle de l'exil, écrite par les mêmes artistes, écrivains, historiens, scientifiques et personnalités politiques qui l'animaient à Barcelone, sous la direction du linguiste Pompeu Fabra: l'historien Antoni Rovira i Virgili, le violoncelliste Pau Casals, l'écrivain Josep Pous i Pages, l'archéologue, anthropologue et essayiste Pere Bosch Gimpera, les anciens conseillers de la Généralité et écrivains Luis Nicolau d'Olwer et Carles Pi i Sunyer. Editant des textes très divers,   —40→   récits de voyages, biographies, poèmes, articles historiques, juridiques, philosophiques et de critique littéraire, s'intéressant à l'archéologie, à la philosophie de l'histoire et à la théorie mathématique, cette revue se distingue particulièrement, parmi les revues de l'exil, par son apparition précoce, sa solide base scientifique et pluridisciplinaire et elle amorce l'ouverture des publications espagnoles à la culture de la société d'accueil.

Remarquables par l'intérêt pour le culturel manifesté par un grand nombre d'exilés, sont les activités culturelles et artistiques entreprises dans les camps d'internement installés à la hâte, début 1939, par des autorités françaises à la fois méfiantes et dépassées par l'ampleur de la Retirada. Les enseignants, les étudiants et les artistes qui se retrouvent dans les camps aux côtés des dizaines de milliers de soldats de l'armée républicaine entreprennent un vaste travail d'éducation et de diffusion de la culture. Cette activité est menée, tant dans son esprit que dans sa forme, dans le prolongement direct de l'effervescence culturelle et éditoriale qu'a connue l'Espagne au cours de la Seconde République et elle serait restée largement inconnue si n'étaient parvenus jusqu'à nous de fragiles et merveilleux témoignages de cette «presse des sables» qui servait à l'organiser8. Dans ces bulletins, dactylographiés ou le plus souvent manuscrits, «édités» à quelques unit, dans les camps d'Argelès, de Gurs, du Barcarès, de Saint-Cyprien ou de Morand en Algérie, la préoccupation culturelle apparaît dominante; il s'agit de structurer l'activité culturelle entreprise dans les camps: alphabétisation, enseignement primaire, cours de langues et cours de perfectionnements dans différentes disciplines, éducation physique, autant d'activités qui se succèdent dans les camps à un rythme impressionnant et attirent des centaines d'élèves. Répondant à une nécessité très précise, celle de combattre le désarroi des réfugiés, de remédier au désoeuvrement des internés et de soutenir leur moral, ces modestes bulletins témoignent du même volontarisme que la scientifique Revista de Catalunya: affirmer la continuité avec la période républicaine, c'est mettre la défaite entre parenthèses.

Ces bulletins des camps font preuve de nombreuses inventions graphiques et la création littéraire n'en est pas absente, dans le droit fil de la période de la guerre d'Espagne: de courts poèmes font un écho inversé, avec leurs vers irréguliers et nostalgiques au ton épique du Romancero de la Guerre civile, cet immense corpus poétique constitué au cours du conflit par des auteurs connus et anonymes. Les bulletins   —41→   Barraca et Desde el Rosellón, confectionnés par le groupe d'intellectuels et d'artistes du camp d'Argelès accueillis au château voisin de Valmy, comportent de nombreuses créations poétiques et plastiques qui évoquent constamment la douleur de l'exil. Les réfugiés affirment hautement une continuité avec la période républicaine et ont le sentiment de représenter les vraies valeurs culturelles de l'Espagne et, par voie de conséquence, le pays lui-même: «Étudiants du camp d'Argelès-sur-Mer, nous continuons notre tâche de divulgation de la culture que nous avons commencée en Espagne, quand la Barraca et nos Missions paysannes apportaient l'art dans tous nos villages de Castille et d'Espagne. Le travail constructif réalisé par la République espagnole pendant huit années dans le domaine de l'Instruction publique a été totalement anéanti par le gouvernement de Burgos... Ce sont eux l'anti-culture. Ils ne sont pas l'Espagne. C'est nous qui sommes l'Espagne.»9




ArribaAbajoLes lieux et les modes de la sauvegarde de l'identité culturelle

A la Libération de la France, après la longue fracture introduite par les années de guerre mondiale, la perspective, dans le domaine culturel, est différente: au-delà d'une simple continuité à assurer par rapport à la Seconde République et au bouillonnement intellectuel de la guerre d'Espagne, il s'agit alors non seulement de sauvegarder l'héritage culturel mais encore de mobiliser toutes les énergies créatives et les potentialités de l'intelligence dans la perspective d'un retour espéré imminent. C'est dans ce contexte particulier que s'inscrivent les années de l'immédiat après-guerre. Ensuite, avec la prolongation de l'exil, la culture est un élément essentiel de sauvegarde d'une identité; mais, de par la diversité idéologique et sociale de l'exil, structuré en de nombreuses organisations souvent antagonistes, il ne peut s'agir que d'une culture plurielle. On ne peut parler d'une culture l'exil mais de cultures de l'exil. En même temps que partis, syndicats et associations espagnoles se reconstituent ou se créent dans l'exil français, un nombre important d'organismes à vocation culturelle sont fondés; ceux-ci peuvent se ranger, à notre avis, dans cinq catégories principales entre lesquelles, comme nous le verrons, les interférences ne manquent pas: les associations rassemblant des intellectuels, les Ateneos, les institutions à vocation régionale, les structures culturo-commerciales et les commissions culturelles des partis ou des syndicats.

Après la Deuxième Guerre mondiale, la première association d'intellectuels à se créer dans le sillage idéologique de l'Unión nacional española10   —42→   est, en octobre 1944, l'Unión de los intelectuales españoles. Lancée par 44 écrivains, artistes, médecins, enseignants et scientifiques espagnols, dont quatre Catalans et deux Basques, rejoints dans un premier temps par 55 autres intellectuels, l'UIE compte parmi ses fondateurs Pablo Picasso, le compositeur Salvador Becarisse, le général Emilio Herrera, ingénieur aéronautique, la juriste Victoria Kent et les écrivains José María Quiroga Plà, José María de Semprún y Gurrea et Corpus Barga. Organisée en trois sections -arts, lettres et sciences-, l'UIE entend se pencher sur l'étude «des solutions qui, dans un futur immédiat, doivent intervenir dans les problèmes généraux de la culture de notre pays»11; dans l'espérance que le gouvernement de Franco va bientôt tomber, et pour une application espérée proche en Espagne même, l'Union demande à ses adhérents de rédiger des rapports sur l'enseignement, la recherche scientifique, les bibliothèques, les musées et les expositions artistiques, le cinéma, la musique, le théâtre ou le folklore. L'UIE organise également à Paris, à l'Institut d'études hispaniques de la rue Gay-Lussac, des cycles de conférences touchant à l'histoire, la littérature, la physique, la médecine, l'histoire de l'art, la géographie, l'histoire littéraire ou la musicologie.

Impulsés aussi par des intellectuels mais en principe ouverts vers un public plus vaste, des Ateneos se créent dans l'exil français, continuant la tradition du mouvement culturel libéral commencé en Espagne dès le XIXe siècle et de laquelle la plupart des exilés sont imprégnés. Un «Ateneo hispanista», animé par Antonio Pena, fonctionne pendant quelques années après la guerre mondiale au sein de la Société pour la propagation des langues étrangères, organisant débats et conférences à l'Hôtel des Sociétés savantes à Paris et en Sorbonne. Sa finalité est la diffusion de la langue et de la culture hispaniques par le biais de rencontres conviviales: d'hebdomadaires «tertulias» sont organisées entre les membres de l'Ateneo et leurs invités, ainsi que des conférences bimensuelles sur des thèmes variés ou des soirées artistiques, littéraires ou musicales12. Après la guerre mondiale, un Ateneo espagnol se crée également à Toulouse, sans affiliation partisane, qui invite pour des conférences-débats des personnalités politiques et intellectuelles, tant françaises qu'espagnoles13. Plus tardivement, en 1961, un Ateneo Cervantes est fondé à Lyon: il organise expositions artistiques, conférences, cours d'espagnol, bibliothèque de prêt et service de librairie14.   —43→   L'Ateneo qui connaît la longévité la plus importante et poursuit encore de nos jours son activité, est l'Ateneo ibéro-americano de Paris. Fondé plus tard, en 1957, il se place d'emblée dans une perspective ibérique -accueillant très vite les Portugais en exil- et américaine -établissant des liens avec des intellectuels latino-américains. Le président fondateur de l'Ateneo ibéro-americano est le général Emilio Herrera Linares et le secrétaire en est, pendant des décennies, Antonio Gardó Cantero, l'un des animateurs du travail culturel dans le camp d'Argelès; des membres des gouvernements républicains en exil font partie de son bureau, tels Manuel de Irujo, Julio Just et Fernando Valera. L'objectif déclaré de l'Ateneo est, explicitement, «d'encourager et stimuler la continuité de la culture ibéro-américaine», en cultivant «la tradition libérale et démocratique de cette culture»15; l'originalité de sa démarche réside dans son ouverture à la fois vers l'Amérique latine et l'Europe méditerranéenne, par le biais des patronages ou des collaborations tant français que portugais.

Le troisième ensemble associatif culturel est constitué des organismes créés par les nationalistes basque et catalan, cet ensemble est sans aucun doute l'un des plus caractéristiques de l'exil de la Guerre Civile et parmi les plus importants par sa vigueur et sa longévité. De très nombreuses structures régionales se sont créées dans diverses régions françaises et quelques-unes subsistent encore de nos jours alors que l'exil politique est officiellement terminé depuis deux décennies16. Paris est devenu depuis la fin de la guerre au pays basque, en 1937, la véritable capitale de l'Euzkadi démocratique et, à partir de 1946, le gouvernement basque s'y réinstalle. Les autorités basques encouragent et développent les activités en France de groupes sportifs ou culturels créés en Euzkadi et évacués vers la France après la chute de Bilbao: l'équipe de football «Euzkadi», la troupe «Eresoinka» -chorale et corps de ballet- et le groupe folklorique «Elai-Alai»17. Après la Libération de la France, les initiatives culturelles basques sont nombreuses. Un «mouvement populaire Gernika» se crée à Saint Jean-de-Luz le 26 avril 1945, jour du huitième anniversaire de la destruction de la ville par l'aviation allemande, dans le but de favoriser l'union des Basques dispersés de par le monde; il publiera pendant cinq années, de 1948 à 1953, la revue Gernika. L'Institut basque de recherches -Ikuska-, fondé à Vitoria en 1921, poursuit depuis 1936 ses activités en exil dans la petite ville de Sare située dans les Basses-Pyrénées et noue d'étroites relations avec le Musée des Arts et traditions populaires et la Société   —44→   préhistorique française; depuis lors, il impulse des recherches ethnographiques et archéologiques sur l'Euzkadi.

En ce qui concerne la Catalogne, nous avons vu la rapide constitution, dès les premiers mois de l'exil, de la Fundació Ramón Llull; après la Libération de la France, se crée également à Paris, en 1945, une association d'intellectuels de langue catalane, «Cultura catalana», avec l'objectif de faire connaître l'oeuvre culturelle catalane d'avant 1939. Présidée par Lluis Nicolau d'Olwer, avec Pompeu Fabra à la présidence d'honneur, Cultura catalana célèbre dès sa création le centenaire du poète Jacint Verdaguer18; en 1948, elle compte 331 adhérents19. Un Centre d'études économiques et sociales Toulouse-Barcelone se constitue à Toulouse où l'on organise cours et conférences et se créent, notamment dans le Sud-ouest, des groupes artistiques catalans (chorale, groupes de danse et de sardane). Des Casals catalàs se créent à Perpignan, Montpellier, Paris, Toulouse, Angoulême, Castres, Clermont-Ferrand, Lyon; ils sont au nombre de seize en 194720 -ils seront encore onze en 1965- et organisent excursions et visites culturelles, récitals de musique et de chant, ciné-clubs, cours de catalan, conférences, fêtes, troupes de théâtre amateur, équipes sportives ou clubs de sardanes.

Chaque année, en outre, de 1941 à 1977, les Catalans organisent des Jeux floraux de la langue catalane: fêtes destinées à célébrer une culture et à stimuler la création littéraire sous tous ses aspects -de la poésie aux essais- dans une langue réduite par décret, dans la Péninsule, à la sphère familiale et privée. Itinérants, les Jeux floraux se tiennent dans des villes où existe une communauté catalane active: en Amérique latine pendant la guerre mondiale et à de nombreuses reprises ensuite, mais aussi à Montpellier en 1946, à Paris en 1948, 1959 et 1965, à Perpignan en 1950 et en 1964, à Toulouse en 1952, à Marseille en 1967, puis en Allemagne, en Belgique, en Suisse et aux Pays-Bas dans les années 1970. Ces Jeux ont permis, au cours des années de l'exil, de maintenir un lien vivace entre les Catalans dispersés au-dehors ou dans la Péninsule. Tous les efforts pour assurer la survie de la langue catalane dans l'exil s'expriment parfaitement dans cette déclaration d'Antoni Rovira i Virgili lors des Jeux floraux de Montpellier en 1946: «Loin de la patrie matérielle qui est la terre, nous vivons installés dans une patrie spirituelle qui est la langue»21.

Autre apport des émigrés républicains en France dans le domaine de la sauvegarde de l'hispanite libérale et démocratique: la fondation de maisons d'édition et de librairies. Sans parler ici des publications   —45→   éditées par les partis politiques ou les syndicats, des exilés ont entrepris de créer des organismes de type à la fois culturel et commercial. Lieux de rencontre pour les réfugiés et les amis de l'Espagne démocratique, recours intellectuel pour les «exilés de l'intérieur», ces éditeurs, souvent libraires en même temps, ont joué un grand rôle dans la diffusion, tant en France que vers l'Espagne et d'autres pays, du meilleur de la culture humaniste espagnole. La première librairie à être fondée, à Toulouse, est la Librairie des Editions espagnoles; elle entreprend un travail important de diffusion de la culture hispanique et de symbiose de celle-ci avec la culture française dans la lignée des activités du Centre d'études économiques et sociales Toulouse-Barcelone; les protagonistes en sont d'ailleurs pour une bonne part les mêmes -autour de Louis Solères et d'Antonio Soriano- avec cette fois-ci un aspect commercial, car il y a nécessité pour ces militants et anciens résistants à gagner leur vie sans renier leurs idéaux22. Ce travail de défense et de propagation de la culture, commencé à Toulouse -où se trouvent à la Libération beaucoup d'intellectuels (de Jean Cassou à Henri Lefebvre et Silvio Trentin)- continuera à Paris, rue Mazarine puis rue de Seine, dans la Librairie espagnole d'Antonio Soriano. Cette librairie a été un lieu fondamental d'animation culturelle pendant les longues années de l'exil, un lieu d'échanges, «où l'on rencontrait les livres impossibles à trouver, où se publiait les textes interdits et où s'échangeaient souvenirs et paroles d'espérance»23. Une autre librairie, celle des Editions hispano-américaines, est créée au Quartier latin par un autre Catalan émigré, Amadeu Robles.

Durant quelque dix années, à partir de 1951, les éditions Proa de Barcelone réapparaissent à Perpignan, publiant des auteurs catalans et des traductions d'auteurs français24. Et c'est en 1961 que se constituent les Editions Ruedo Ibérico, l'aventure éditoriale la plus importante de l'exil espagnol, à l'initiative de José Martínez Guerricabeitia avec la collaboration de dissidents du Parti communiste, Jorge Semprún et Fernando Claudín, les Editions Ruedo Ibérico publient de nombreux ouvrages sur l'Espagne qui, très vite, circulent clandestinement dans la Péninsule. Les auteurs sont aussi divers que Herbert Southworth, Gabriel Jackson, Gerald Brenan ou Hugh Thomas, Léon Trotsky, Jesús Infante ou Luis Ramírez -alias Luciano Rincón-. Editant à la fois des études originales, des traductions en espagnol des plus importantes recherches internationales sur l'histoire récente de l'Espagne, et la revue Cuadernos de Ruedo ibérico, ces éditions ont véritablement donné «une plate-forme à l'intelligentsia antifranquiste aux temps où la frustration   —46→   était totale»25. Enfin, en 1969, apparaissent à Paris les Editions catalanes, fondées par Jordi Pujol, Josep Benet et Albert Manent, qui éditent des dossiers relatifs à la Catalogne.

Comme on l'a déjà vu en ce qui concerne les partis basques et catalans dont l'objectif commun et constant est, au-delà des divergences idéologiques, d'assurer la survie d'une culture, la plupart des mouvements politiques et syndicaux attestent de préoccupations culturelles, ce dont témoignent nombre de publications à caractère politique ou informatif. Un exemple significatif est celui des mouvements libertaires, où la culture est une préoccupation toujours présente, du fait de la conception globalisante de l'anarchisme et de sa croyance en la valeur de la culture pour l'épanouissement de l'individu. L'un des secrétaires nationaux de la Confederación nacional del trabajo (CNT) est chargé de la culture et de la propagande; les fédérations locales proposent régulièrement des cycles de conférences sur des sujets variés et organisent, particulièrement pour les jeunes libertaires, des activités culturelles très diverses, allant des visites de Musées, des excursions et des matchs sportifs à la constitution de groupes artistiques, théâtraux le plus souvent26. La CNT publiera au cours de son exil nombre de revues culturelles. Les anarchistes mettent sur pied des systèmes d'envois de livres: classiques de la littérature espagnole, grands romans de divers pays, oeuvres philosophiques et historiques, livres de médecine pratique et d'éducation sexuelle; les prix pratiqués sont modiques, ce qui met nombre d'ouvrages à la portée des militants de la CNT et complète les cours organisés dans les disciplines les plus variées par le Secrétariat à la culture de la CNT.




ArribaAbajoLes composantes des cultures espagnoles de l'exil

Pour tenter de cerner ces cultures, l'on peut faire ressortir quatre ensembles significatifs qui s'expriment au travers d'autant de types de publications: les intellectuels dans les revues culturelles, la mouvance républicaine au sens large du terme dans des publications plus ou moins unitaires de l'exil, le courant libertaire dans les périodiques anarchistes et les minorités régionales -basque et catalane essentiellement- dans les journaux nationalistes27. Bien entendu, la frontière n'est   —47→   pas étanche entre ces quatre ensembles: des intellectuels sont présents dans les revues de tendance républicaine, libertaire ou régionale et, inversement, des anarchistes ou des minorités régionales éditent des revues culturelles; mais il s'agit ici de faire ressortir des groupes de publications qui ont entre elles un commun dénominateur les distinguant nettement des autres.

On a vu le rôle joué, pour les intellectuels, por l'Unión de intelectuales españoles. Pendant quatre années son bulletin, le Boletín de la Unión de intelectuales españoles, se fait l'écho de cette activité, accordant une attention particulière à l'enseignement. Le bulletin s'intéresse également à des thèmes de l'histoire littéraire espagnole; les articles sur la peinture sont nombreux. Placé dès ses premiers numéros sous le double signe d'Antonio Machado et de García Lorca, le Boletín de la Unión de intelectuales españoles accorde une large place à la poésie et publie des poèmes de ses collaborateurs, comme José María Quiroga Plà, Corpus Barga, José María de Semprún y Gurrea, Jacinto Luis Guereña, Rafael Alberti ou Arturo Serrano Plaja. Il revient également au Boletín le mérite d'avoir lancé le débat sur le rôle des intellectuels dans l'exil. Un bon nombre d'intellectuels qui animent le Boletín de la Unión de intelectuales españoles font paraître, en 1946 et en 1947, une «revue de culture espagnole», Independencia; le comité de rédaction est notamment composé de Rafael Alberti, Arturo Serrano Plaja, Manuel Nuñez de Arenas, du général Emilio Herrera, de Pablo de Azcárate et José María de Semprún y Gurrea, et des fils de ces derniers Manuel de Azcárate et Jorge Semprún. L'engagement des intellectuels en est la raison d'être. Dans Independencia, la poésie tient aussi une place notable, non seulement au travers de textes d'écrivains espagnols tels que José Herrera Petere, Francisco Giner de los Ríos, Jorge Semprún, José María Quiroga Plà ou Arturo Serrano Plaja, mais aussi de poètes français comme Paul Éluard ou Pierre Seghers. Au cours des années d'après-guerre, fécondes pour l'exil espagnol, de nombreux autres périodiques à vocation culturelle voient le jour. Parfois éphémères comme Ibéria, «revue des nationalités ibériques», animée par Jean Cassou; la revue souhaite être le catalyseur d'une confédération ibérique et publie en 1945 des essais dans «toutes les langues parlées dans la Péninsule», castillan, catalan, basque, galicien et portugais. Méduse, «revue de création et de combat» du Front franco-espagnol des lettres, est dirigée par Jacinto Luis Guereña; la revue se place d'emblée sous le double signe de la poésie et de la fraternité franco-espagnole. L'humour et la satire sont également représentés avec la parution, en 1946 et en 1947 à Rodez, de Don Quijote; avec pour rédacteur en chef, un «Sancho Panza», le journal se place dans la lignée du Canard enchaîné et de L'Os libre. Illustré de caricatures virulentes, il proclame «défendre la République, une République propre,   —48→   honnête, capable, une République par le peuple et pour le peuple». Si sa satire s'exerce surtout contre Franco et «las cosas de Franquilandia», il n'épargne pas le gouvernement en exil de José Giral non plus que ses confrères de l'émigration.

La culture que l'on pourrait qualifier de «républicaine» s'exprime, au-delà des organes des partis républicains proprement dits, dans les publications de la JEL -Junta española de liberación- qui regroupe, au lendemain de la guerre mondiale, tous les courants de l'exil à l'exception des communistes. La Junte édite à Toulouse, à partir de juin 1945, L'Espagne républicaine qui se dénomme elle-même «hebdomadaire politique et littéraire». Publié en grande partie en français, ce journal paraît jusqu'en 1948 et est prolongé à Paris, jusqu'en mai 1949, par L'Espagne. Remarquable par son caractère unitaire qui n'exclut pas les débats, L'Espagne républicaine, dirigée par Ricardo Gasset, est à la fois un journal d'information et une revue culturelle. La poésie occupe une place régulière dans L'Espagne républicaine; la dernière page lui est consacrée sous un titre double: «Poetas de España» et «Poètes de France». Ce rapprochement des cultures espagnole et française est aussi l'un des traits remarquable de L'Espagne républicaine. De nombreux articles de L'Espagne républicaine sont d'ailleurs consacrés à la culture française et aux relations entre les deux pays. L'Espagne républicaine s'intéresse encore à une foule de sujets: scientifiques, artistiques (musique, peinture, cinéma, théâtre), historiques ou philosophiques. Dans la tradition littéraire espagnole de la narration courte, L'Espagne républicaine lance un grand concours de nouvelles auprès de ses lecteurs qui en constituent également le jury28; le concours remporte beaucoup de succès et le journal entreprend de publier les nouvelles qu'il a reçues. Il s'agit d'une réalisation particulièrement achevée et complète, fruit d'une équipe diversifiée; elle est à la fois affirmation d'une culture hispanique et aide à la découverte, pour la majorité des exilés, de la culture française. Après la dissolution de la JEL d'autres publications apparaissent, qui sont l'émanation directe du gouvernement en exil, comme La Nouvelle Espagne, publiée de la fin de 1945 à mars 1947. La culture y est surtout présente par l'évocation de grandes figures du patrimoine espagnol, Goya, Lorca, Unamuno ou Blasco Ibáñez, et par une réactivation constante du souvenir des grands épisodes de la République; le souci de préservation de la mémoire historique y est nettement prédominant.

Un ensemble significatif est constitué par les publications libertaires, extrêmement nombreuses et diverses; la culture y est toujours présente, quelque soit le type dominant des titres en question, syndical, politique ou même bulletin interne de liaison. Ainsi, dans les hebdomadaires   —49→   CNT et Solidaridad obrera, la culture côtoie la politique, naturellement indissociables chez les anarchistes. Moins liés à l'actualité, les mensuels El Rebelde et Tiempos nuevos sont consacrés essentiellement à la réflexion théorique et à la culture, surtout à la poésie en ce qui concerne le premier d'entre eux. L'hebdomadaire Revolución española consacre une place notable à la culture: toujours à la poésie, notamment celle de León Felipe, mais aussi à une réflexion sur la création dans le domaine théâtral. À Toulouse, entre 1946 et 1948, Universo est spécialisé dans la sociologie, les sciences et l'art; il est largement illustré de reproductions de tableaux ou même de sculptures et une guilde des Amis du livre est organisée dès le premier numéro pour fournir des ouvrages à prix modiques aux lecteurs. À Bordeaux, Demain, édité par les jeunesses libertaires, reprend le même objectif encyclopédique qu'Universo. À Toulouse encore, un groupe culturel Elisée Reclus poursuit dans la revue Impulso le travail entrepris en Espagne autour de la pensée du géographe libertaire. À Paris, Galería, à laquelle participe Albert Camus, est a première revue culturelle illustrée de l'émigration espagnole en Europe; elle se veut ouverte à tous les jeunes écrivains, peintres, dessinateurs, poètes et photographes espagnols; elle s'intéresse au cinéma, au théâtre, à tous les arts plastiques, à la musique, à la danse et à la poésie.

Le prototype de la revue culturelle libertaire, celle dont la longévité est la plus remarquable, est Cénit. Créée en janvier 1951 à Toulouse, Cénit a une présentation soignée et de belles illustrations; elle souhaite lutter contre l'idée vulgaire que beaucoup de personnes ont de l'anarchisme. Sans faire référence à l'actualité, Cénit se consacre à une réflexion plus durable, ouverte à tous ceux dont la pensée est respectable, même si elle est distincte de la sienne. Elle aborde de très nombreux thèmes littéraires, philosophiques, historiques, artistiques ou scientifiques; la création littéraire -poésie et nouvelles- y est également présente et elle attire la collaboration de personnalités comme Bertrand Russell ou Albert Camus, sans parler des nombreux intellectuels de la mouvance libertaire. Les militants libertaires de la région parisienne créent, en 1954, le Suplemento literario de Solidaridad obrera. En sept années d'existence, le Suplemento literario est vraiment, comme il le souhaite lors de sa création, une «fenêtre ouverte à toutes les inquiétudes culturelles, hispaniques et universelles»; il contribue fortement à faire connaître le «travail des artistes, professeurs, écrivains et techniciens qui vivent dispersés sur le vieux et les nouveaux continents»29. Les thèmes sont aussi divers et variés que ceux de Cénit, mais l'on peut y discerner cependant une prédilection pour la littérature et l'histoire et, sa différence d'avec la revue toulousaine consiste en un regard régulier   —50→   porté sur l'actualité culturelle: arts plastiques, cinéma, théâtre, littérature et danse. Le Suplemento literario consacre une place grandissante à la poésie. La caractéristique de la revue est de faire appel à des intellectuels divers, sollicités pour leur compétence plus que pour leur sympathie pour l'anarchisme, tels Pere Bosch Gimpera, Lluís Capdevila ou Fernando Valera; à côté de dirigeants ou d'écrivains anarchistes, comme Benito Milla, Diego Abad de Santillán, Juan Ferrer, Felipe Aláiz ou Rudolf Rocker, d'autres plumes de l'exil et des écrivains français participent à la revue, tels Albert Camus, Jean Cassou, Jean Rostand, Marcel Bataillon, Jean Guéhenno ou Henry Poulaille. Le Suplemento literario est caractéristique d'une large ouverture de la culture anarchiste. Après son interdiction en 1961, en même temps que les journaux «historiques» de l'exil, Umbral, «revue mensuelle d'art, lettres et études sociales», prend le relais jusqu'en 1969.

Les cultures basque et catalane, par leur vitalité, constituent un ensemble spécifique qu'il convient d'envisager à part. Dès 1936, la Délégation basque à Paris publie Euzko Deya, porte-parole d'un christianisme social qui rencontre l'appui de nombreuses personnalités catholiques françaises, de François Mauriac à Marc Sangnier et Francisque Gay; si l'on excepte la parenthèse de la guerre mondiale, Euzko Deya sort régulièrement à Paris pendant près de quarante ans et illustre divers aspects de la culture basque. Le Parti nationaliste basque lance Alderdi qui, de Bayonne, de 1947 à 1974, assure la liaison avec les Basques restés en Euzkadi et s'efforce de maintenir vivante la culture nationale, publiant de nombreux articles historiques, littéraires, biographiques. A Saint Jean-de-Luz, le «mouvement populaire Gernika» édite la revue Gernika de 1948 à 1953; Gernika compte avec la participation de nombreux collaborateurs qui résident majoritairement dans les Basses-Pyrénées mais également dans le Pays basque péninsulaire ou en Amérique latine; la revue publie des articles historiques, philosophiques, philologiques et littéraires et organise des cycles de conférences. À Bayonne et à Sare, entre 1946 et 1957, des dissidents de ce mouvement, regroupés autour de l'abbé Barandiarán, éditent Ikuska et Euzko-Jakintza, revues aussi savantes que Gernika. Ikuska publie les résultats des recherches ethnographiques, préhistoriques, linguistiques et toponymiques de son important réseau de correspondants. De même, Euzko-Jakintza édite des travaux très divers sur le Pays basque; la bibliographie, la linguistique, l'ethnographie, la géographie et l'histoire dominent largement. Il est vrai que l'abbé Barandiarán a su s'attirer, comme pour Ikuska, la collaboration de membres de l'Académie basque, de professeurs d'Universités françaises et étrangères et des responsables du Musée basque de Bayonne.

Du côté catalan, la Fundació Ramón Llull fait reparaître la remarquable Revista de Catalunya pour quelques numéros en 1947. Rien   —51→   qu'à Toulouse, entre septembre et décembre 1944, apparaissent -ou réapparaissent- Catalunya, El Poble català, Catalunya central, Lluita et Foc Nou. Cette dernière publication a un caractère essentiellement littéraire et artistique; elle se veut «au service de la Catalogne» et la «revue de tous les Catalans sans distinction de partis ni de syndicats». Elle devient, en janvier 1945, le porte-parole de Solidaritat catalana, «mouvement patriotique d'entente» qui vient de se constituer par l'union de six partis catalans. De grands noms de la culture catalane y écrivent, les mêmes quasiment que dans la Revista de Catalunya et Pompeu Fabra -qui a réussi à publier, durant l'occupation de la France, une grammaire catalane avec l'emblème de la Catalogne en couverture- y poursuit son oeuvre de «restauration» de la langue catalane. Les oeuvres de création prennent une place importante dans Foc Nou, surtout l'art de la nouvelle et la poésie. La revue permet de suivre l'activité intellectuelle et artistique catalane de l'exil: celle de la «trinité catalane», composée du linguiste Pompeu Fabra, de l'historien Antoni Rovira i Virgili et du violoncelliste Pau Casals30, mais aussi celle d'un sculpteur comme Joan Rebull ou de peintres comme Jaume Bordas, Lluis Cazals ou Grau Sala. Une exposition d'art catalan moderne est organisée à la galerie Altarriba de la rue du Bac à Paris en mai 1945 par Solidaritat catalana avec la participation de nombreux peintres et sculpteurs31.

De par sa proximité géographique avec la Catalogne péninsulaire et de par sa parenté linguistique, le département des Pyrénées-Orientales attire particulièrement les exilés catalans; tandis que Prades devient un haut lieu international de la musique autour de Pablo Casals, qui refuse toutes les propositions de jouer en Espagne, Perpignan constitue vite un centre important de l'èmigration catalane. De nombreuses publications sont éditées dans le chef-lieu des Pyrénées-Orientales: il s'y crée en particulier un Grup d'estudis politics qui forme, autour de la revue Quaderns, un pôle important de réflexion. Tribune ouverte, les Quaderns sont tournés principalement vers la réflexion et l'information dans les domaines politique et économico-social, notamment sur les rapports de la Catalogne avec l'Espagne et avec l'Europe; de nombreux intellectuels catalans y collaborent. À Nice, un groupe de Catalans édite après la guerre une belle revue culturelle, Per Catalunya, à laquelle collaborent des écrivains français, où l'on relève notamment les noms d'André Billy, Joe Bousquet, Jean Camp, Albert Camus, Jean Cassou, Georges Duhamel, Paul Éluard, Max-Pol Fouchet, Claude   —52→   Morgan, Jean Paulhan, Jean-Paul Sartre ou Pierre Seghers. La revue, élégamment illustrée par des artistes tels que Martí Bas, Antoni Clavé ou Carles Fontseré, compte également avec la collaboration d'un très grand nombre d'écrivains catalans. Dans les années 1950, alors que le contexte est difficile pour l'émigration, des revues culturelles catalanes voient le jour, comme Presencia catalana, publiée par l'Institut catalan d'art et de culture de Paris en 1952-1953; Presencia catalana, illustrée par quelques-uns des meilleurs artistes catalans comme Martí Bas, Antoni Clavé ou Emili Grau Sala, est non seulement l'organe de l'Institut mais se veut le porte-parole de toutes les manifestations de la culture catalane dans le monde et un lieu d'accueil pour les écrivains et artistes catalans. Apparue en 1954, Vida nova devient, après la disparition de la Revista de Catalunya et de Foc Nou, la principale revue culturelle catalane: elle est intéressante tant par sa longévité -elle paraît jusqu'en 1973-, que par sa tentative originale d'associer constamment catalanisme et occitanisme, comme l'avaient esquissé avant guerre d'autres revues culturelles.




ArribaAbajoEsquisse de typologie des cultures de l'exil

Pendant toute la durée de l'exil, mais particulièrement dans la période où tous les efforts convergent pour la sauvegarde de l'identité culturelle, c'est-à-dire jusqu'au début des années 1960, une place constante et régulière est occupée, dans la totalité des journaux et des revues, par la mémoire historique; il s'agit de raviver régulièrement pour les lecteurs le souvenir des grandes figures de la culture espagnole, et aussi, et surtout, des événements récents de l'histoire espagnole qui ont valeur symbolique. La presse de l'exil célèbre unanimement Cervantes, Goya, Lorca ou Machado et évoque aux dates-anniversaires de leur disparition, selon la tendance politique, le souvenir de militants, de responsables de partis ou d'hommes politiques morts pour une juste cause. Il est des dates qui, chaque année, sont célébrées systématiquement dans la presse de l'exil et font l'objet de commémoration et de réflexion sur l'histoire de la Seconde République et de la guerre civile: le 14 avril 1931, les 18 et 19 juillet 1936 sont particulièrement évoqués, avec des nuances importantes selon l'orientation idéologique, tant cette histoire revisitée par le biais des commémorations rituelles est un élément fondamental de l'imaginaire collectif de l'exil.

Présente dès les bulletins des camps d'internement, primordiale dans Méduse qui fait d'elle l'essence même de la littérature hispanique, la poésie est l'objet unique d'une revue éditée en 1946 à Montpellier, Poesía, où sont publiés des poèmes en catalan, en castillan et en basque et elle occupe une place régulière et importante dans la totalité des publications culturelles. La poésie est présente également dans les   —53→   journaux politiques d'information. Généralement, dans les périodiques, les poèmes publiés sont souvent empruntés à des poètes consacrés, Lorca, Machado, León Felipe ou Miguel Hernández, mais ils sont parfois écrits par les animateurs des publications ou même des anonymes. C'est que la poésie est une pratique culturelle anciennement enracinée en Espagne, non seulement chez les élites, mais aussi dans les larges masse. Il y a aussi chez les républicains le souvenir, vivace, du rôle de la poésie pendant la guerre d'Espagne; poésie qui a été alors la voix de l'épopée et l'expression du poète reconnu comme du milicien quasi analphabète32. Il est possible, au regard de l'histoire littéraire, que la création poétique des exilés espagnols en France soit maigre en quantité et décevante en qualité en comparaison de la production de l'exil américain. L'intéressant, quand on analyse les cultures de la masse des exilés, est de constater que la poésie est présente de manière notable dans l'environnement culturel d'une grande majorité d'entre eux. Deux poètes deviennent des personnages mythiques pour les exilés: Federico García Lorca et Antonio Machado, mort à Collioure au bout de quelques jours d'exil, ils sont souvent cités, objets d'études et de commémorations33.

Le goût marqué par les Espagnols pour les narrations courtes au début du XXe siècle continue à se manifester dans l'exil, comme en témoignent le concours lancé par L'Espagne républicaine, la parution de nouvelles dans de nombreuses publications -de Méduse à Galería en passant par des journaux d'information- ou la création de La Novela española et de La Novela ideal. La Novela española publie, dans ce que l'on pourrait appeler avant la lettre une «édition de poche», des oeuvres classiques ou déjà consacrées, de Lope de Vega, Unamuno, Lorca ou Machado et met ainsi à la portée de tous les réfugiés des textes littéraires de valeur. Elle apparaît à Toulouse en 1947 pour rendre hommage à Cervantes et elle édite également une série de courts récits originaux écrits par ses collaborateurs habituels ou occasionnels, tels Víctor Alba, Mateo Santos, Alfonso Comín ou Antonio Zozaya; beaucoup d'entre eux ont d'ailleurs collaboré en Espagne, dans les années 1910-1935, au développement de ce genre littéraire. En 1955, le Secrétariat intercontinental de la CNT lance La Novela ideal, qui reprend le nom d'une revue éditée en Espagne à partir de 1925 par Federico Urales, le père de Federica Montseny. Cette continuité affirmée par rapport aux traditions littéraires espagnoles est un élément de la préservation identitaire entreprise dans l'exil.



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ArribaAbajoLa fin de l'exil et le «métissage» grandissant des cultures de l'exil

Parallèlement à la sauvegarde d'une identité culturelle qu'il s'est assigné de façon volontariste, l'exil, confronté à d'autres cultures, notamment celle du pays d'accueil, témoigne de façon grandissante, au fil des années, de ses rencontres culturelles. Cette imprégnation et ce «métissage» culturels s'effectuent dans des structures créées par les exilés ou dans des mouvements franco-espagnols ou transnationaux et, bien entendu, au sein de la société française elle-même; du fait de la longue durée de l'exil, de l'immersion dans un autre contexte social et de l'apparition de nouvelles générations nées dans l'émigration, totalement intégrées dans leur nouveau pays, les cultures de l'exil changent progressivement de nature. Plus ouvertes sur d'autres univers intellectuels et mentaux, elles expriment ces rencontres et attestent d'une multiplicité de références culturelles. Les années 1960 sont particulièrement marquées par cette ouverture au monde extérieur.

Dès les débuts de l'exil, diverses publications culturelles s'intéressent à la culture française, telles la Revista de Catalunya, L'Espagne républicaine, L'Espagne, Independencia ou Méduse. Per Catalunya multiplie les regards croisés sur les cultures française et catalane; elle rend hommage à des écrivains français, tels Max-Pol Fouchet ou Paul Éluard, et propose très régulièrement une rubrique intitulée «Les artistes catalans vus par les critiques français», où sont analysées les oeuvres d'Antoni Clavé, Lluís Jou, Lluis V. Molné ou Francesc Riba-Rovira. En 1946-1947, Heraldo de España possède une section consacrée à la «Littérature française en espagnol» qui s'intéresse à la culture française, à la littérature espagnole en France et à la présence de l'Espagne dans la littérature française. Cependant, au début des années 1950, la publication de la revue Cuadernos constitue une ouverture intellectuelle internationale nouvelle. De larges secteurs de l'exil participent à l'édition de Cuadernos del Congreso por la libertad de la cultura, organe d'expression de la section espagnole du Congrès du même nom, constitué à Berlin en juin 1950 par 118 écrivains, artistes et scientifiques originaires de vingt pays, décidés à «défendre le droit de critique et la pensée libre»34. Les présidents d'honneur du Congrès sont Benedetto Croce, John Dewey, Karl Jaspers, Salvador de Madariaga, Jacques Maritain et Bertrand Russell. La section espagnole du Congrès plie les Cuadernos de 1953 à 1965; la rédaction est assumée par d'anciens dirigeants du POUM, Julián Gorkín et Ignacio Iglesias, dont les convictions anti-staliniennes rejoignent celles des anciens communistes Ignacio Silone et Arthur Koesler, autres animateurs du Congrès. La participation de nombreux écrivains ou hommes politiques français et   —55→   latino-américains y est considérable et des horizons variés sont représentés par des personnalités telles que Nehru, Boris Pasternak, William Faulkner, Aldous Huxley ou Theodor Adorno. La plupart des intellectuels de l'exil et nombre de responsables politiques, des socialistes aux anarchistes et aux nationalistes catalans -communistes exceptés- collaborent aux Cuadernos: Salvador de Madariaga, Luis Araquistáin, Américo Castro, Fernando Valera, Rodolfo Llopis, Federica Montseny, entre autres. La section espagnole du Congrès pour la liberté de la culture marque la première ouverture d'ampleur de l'exil espagnol sur l'Amérique latine mais aussi sur d'autres continents35.

La revue fondamentale de la dernière décennie de l'exil -de 1965 à 1977- sont les Cuadernos de Ruedo Ibérico, typiques de l'évolution de l'exil et de ses formes d'expression. José Martínez et Jorge Semprún les placent d'emblée sous le signe de l'autonomie et de la rigueur: indépendance par rapport aux partis et effort pour s'en tenir à la réalité, loin de toute pensée dogmatique. Les Cuadernos de Ruedo Ibérico sont un creuset où se mêlent exilés et opposants de l'intérieur mais aussi intellectuels de divers pays, tout particulièrement de l'Amérique latine. La revue, augmentée de suppléments annuels et enrichie par les nombreuses publications des éditions du même nom, contribue grandement à l'étude de la réalité espagnole et marque une nouvelle étape de l'émigration, beaucoup plus en prise sur les problèmes présents de l'Espagne intérieure. Travaux de sociologie, d'économie, de politologie concourent à une connaissance de l'Espagne réelle; il ne s'agit plus de la représentation d'une Espagne mythique, comme souvent, au long de ces années, dans la presse de l'exil. L'actualité politique espagnole est suivie régulièrement, d'importantes études sont menées sur le mouvement ouvrier, le syndicalisme et le monde rural espagnols ainsi que sur la vie culturelle dans la Péninsule; critiques littéraires et cinématographiques, créations poétiques, nouvelles et humour des caricatures achèvent de donner un style vivant à l'ensemble. Les Cuadernos de Ruedo ibérico marquent aussi l'arrivée à maturité d'une nouvelle génération d'exilés, réfugiés jeunes en France sans avoir eu de responsabilités importantes en Espagne, moins marqués par les vieilles dissensions et plus aptes à capter les aspirations de l'opposition intérieure.

L'une des dernières créations culturelles de l'exil est, en 1971, la revue Libre, «revue du monde de langue espagnole» qui réunit des écrivains et des artistes espagnols et latino-américains autour d'un projet «révolutionnaire sur tous les plans fondamentaux accessibles au verbe». De Julio Cortázar à Manuel Vázquez Montalbán, de Carlos Fuentes à Octavio Paz et Gabriel García Marquez, et de Wilfredo Lam   —56→   à Antoni Tápies, l'on y trouve en effet les meilleurs auteurs de langue espagnole du moment et quelques-uns des artistes importants de cette aire culturelle. Les quatre numéros parus sont publiés sous la direction respective de Juan Goytisolo, Jorge Semprún, Teodoro Petkoff et Mario Vargas Llosa. Essentiellement littéraires, les numéros abordent également la situation présente de l'Amérique latine et étudient Che Guevara comme l'Unité populaire au Chili. Revue tout à fait intéressante par son contenu et cette rencontre -quasiment fusionnelle-, faite sur le sol français, entre écrivains espagnols et latino-américains.

La vie culturelle de l'exil espagnol en France a été extrêmement riche et variée. La presse de l'exil, véhicule des cultures, a été un instrument important de sauvegarde d'une identité culturelle mais elle a été aussi, un lieu de rencontre de la culture espagnole avec d'autres cultures, et notamment celle du pays d'accueil. Des préoccupations d'une continuité à maintenir par rapport à la République et d'une identité à conserver malgré le déracinement, on est passé, au fil des ans et des générations, à une ouverture croissante sur d'autres univers. Sauvegarde identitaire et ouverture sont allées de pair et l'on peut avancer hypothèse que cette ouverture s'est d'autant mieux effectuée que l'identité d'origine a été préservée. Malgré la présence et l'activité en France d'intellectuels et d'artistes de renommée internationale, tels que Pau Casals, Antoni Clavé ou Jorge Semprún -pour ne citer que quelques noms- les cultures de l'exil espagnol en France ont été, à la différence de l'exil américain, davantage des cultures de masses que d'élites. Pratiquées au quotidien par des milliers de gens, placées au centre de nombreux groupes de sociabilité, elles ont contribué à forger les références culturelles présentes des exilés et de leurs descendants.







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ArribaAbajoLiteratura

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ArribaAbajoNovelistas españoles en Francia y sus obras en francés sobre la guerra civil de 1936-1939

Maryse Bertrand de Muñoz


Université de Montreal


La guerra civil española, de 1936-1939 ha dado lugar a una extensísima producción novelesca. Entre las mil trescientas novelas publicadas en unos treinta países, Francia ocupa el segundo puesto en el número de obras después de España. La lucha fratricida, la guerra ideológica española se transformaron rápidamente en una guerra internacional. «Esta guerra había de tener un carácter complejo. Se abría como un episodio español de la historia política humana y acabaría transformándose enseguida en un episodio ejemplar. El hecho de que las potencias extranjeras la convirtieran en su campo de maniobras cambiaba su carácter revolucionario y al mismo tiempo su carácter nacional. La guerra de España se convertía, en el tablero mundial, en una baza difícil de jugar»36.

El conflicto de allende los Pirineos no hizo más que avivar el clima de tensión ya existente en Francia y sobre todo proyectó allí el temor de un cataclismo semejante: Henri Jeanson se dirigía a Léon Blum en Le Canard Enchainé del 5 de agosto de 1936 y le advertía de que si no se ponía orden «La vieja Francia» se convertiría en «algo así como una nueva España». A pesar de firmar el acuerdo de «No-intervención», la aportación de material de guerra de Francia fue bastante considerable, pero la contribución en hombres no fue menor, y las autoridades francesas lo consentían o al menos no estorbaban la partida de los contingentes. Recordemos particularmente la participación de André Malraux ya en julio de 1936 y la del batallón francófono bajo las órdenes de Jules Dumont, la Commune de Paris en septiembre de 1936; más tarde, se añadieron los batallones franco-belgas, «André Marty» y «Louise Michel», los batallones franceses, «Henri Vuillemin»,   —60→   «Henri Barbusse», «Pierre Brachet» y «Vaillant-Couturier»; casi todos estos batallones fueron agrupados en la XIV Brigada Internacional, apellidada «La Marseillaise», y compuesta de franceses, belgas y españoles. De hecho, del total de hombres que participaron en las Brigadas Internacionales, «Los franceses han sido incontrovertiblemente los más numerosos, aunque su valor combativo haya sido a menudo inferior al de los contingentes alemanes o italianos»37, escribió Pierre Broué.

La polémica en la prensa y entre los intelectuales se hizo cada vez más virulenta y a continuación los libros de escritores franceses fue sumamente abundante38. Entre ellos, subrayemos que la novela39, viene en primer lugar de la creación literaria, no solamente en el mundo entero, sino también en Francia. Después de André Malraux que publicó L'Espoir40 en 1937, muchos autores franceses novelaron el tema de la guerra civil hasta hoy, llegando a pasar el centenar; entre ellos, encontramos a novelistas de todos los calibres, entre los cuales unos tan conocidos como Henry de Montherlant, Albert Camus, Pierre Drieu La Rochelle, Robert Brasillach, Antoine de Saint-Exupéry, Louis Aragon, Jean-Paul Sartre, Pierre-Henri Simon y Claude Simon.

Y ahora llego al objeto central de mi trabajo: la integración de un grupo de autores españoles compuesto por José Luis de Vilallonga, Michel del Castillo, Jacques Folch-Ribas, Jorge Semprún, Carlos Semprún-Maura y Agustín Gómez-Arcos, cuya aportación a la novela francesa de la guerra civil se ha revelado como una de las más importantes41.

Muchísimos novelistas españoles publicaron sus obras en su lengua materna o traducidos en Francia. El que seguramente ganó mayor fama desde finales de los cincuenta fue Juan Goytisolo que trabajaba en la casa editora Gallimard; pero ya antes y después de esas fechas varios lograron darse a conocer por sus novelas sobre la lucha cainita; recordemos solamente a título indicativo a Virgilio Botella-Pastor42,   —61→   Castillo-Navarro43, Antonio Ferres44, Jesús Izcaray45, Armando López Salinas46, Antonio Martínez Pagán47, Miguel de Salabert48, etc.

Michel del Castillo, José Luis de Vilallonga, Jacques Folch-Ribas, Jorge Semprún, Carlos Semprún-Maura y Agustín Gómez-Arcos escribieron sus novelas en francés y son ellos los que retendrán nuestra atención.

El franco-español Michel del Castillo (su madre era española -y de ella tomó su nombre de escritor- y su padre francés) dedicó gran parte de su literatura a España; sus orígenes y las penosas circunstancias de su vida en exilio le marcaron de manera definitiva49; se dio a conocer en la literatura francesa en 1953 con la publicación de su novela ampliamente autobiográfica, Tanguy. Publicó después varios libros y afirmó su vocación literaria. Su segunda novela, Colleur d'affiches50, nacida también de sus recuerdos de la guerra de España, se aleja sin embargo de la autobiografía; el autor ya no cuenta sus propias experiencias, sino valiéndose de personajes de ficción que nos transmiten todo el ardor de su pasión. El conflicto español ha engendrado miles de desdichados y la situación es tanto más patética cuanto que se trata de niños como Tanguy o de adolescentes como Olny y Marianita en Colleur d'affiches. Estos personajes están totalmente desorientados en una guerra que no comprenden y que no han querido ni deseado; y sin embargo, están sumergidos en ella, sus vidas truncadas y sus ilusiones desvanecidas para siempre; llevarán consigo durante toda su vida la huella indeleble de esos años fatídicos que habrían debido servirles para desarrollarse y prepararles para un porvenir más sonriente. A esta novela derrotista sucedió Tara51 y La nuit du décret52 que tienen varias referencias sobre los años treinta.

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José Luis de Vilallonga y Michel del Castillo son dos casos semejantes de asimilación de la cultura francesa y, desde 1959, Pierre de Boisdeffre los mencionaba en su Histoire vivante de la littérature d'aujourd'hui. Señalemos, no obstante, que Michel del Castillo es de padre trances, que desde la edad de cinco años conoció Francia y allí vivió varios años antes de fijar definitivamente su residencia en ese país en 1953: su caso es menos excepcional que el del autor de L'homme de sang. Hay que resaltar asimismo otra similitud con Vilallonga: ha sido actor de cine y se ha distinguido en el papel de Pablo Ibbieta, el héroe de la novela de Jean-Paul Sartre, Le mur53.

José Luis de Vilallonga54, es autor de obras de mejor factura que del Castillo y por este motivo me detendré más en él. Pertenece a una de las más antiguas familias de la aristocracia española y su oposición al Régimen del general Franco le forzó a exiliarse. Vivió en Francia desde 1951 y volvió a España después de la muerte del dictador. En 1952, publicaba una primera novela, traducida por Emmanuel Robles, Les ramblas finissent à la mer. Seguidamente, escribiría en francés y habría de conocer un extraordinario éxito con sus novelas, sus obras de teatro y sus novelas cortas. Sus libros no fueron traducidos al español hasta muy tarde por su falta de respeto para la España franquista, la moral y la religión. También se convirtió en actor de teatro y de cine, se casó con la actriz Michèle Girardon; interpretó papeles secundarios en muchos films y en el verano de 1970, rodaba con Marina Vlady: todo ello le aseguró un buen tren de vida. Vilallonga se integró perfectamente en Francia y en la cultura francesa y Pierre de Boisdeffre escribió a su respecto: es uno de «esos brillantes ejemplos del genio asimilador de nuestra cultura»55.

Sus novelas, Allegro bárbaro (sic)56, Fiesta57, Furia58, críticas feroces de la alta sociedad española, de la guerra de España, llenas de la «furia» de la lucha fratricida, como casi todos sus obras, son sin embargo inferiores a L'homme de sang59. Este libro fue galardonado con   —63→   el Prix Rivarol, otorgado por Emile Henriot, Gabriel Marcel, François Mauriac, Jean Paulhan, Jules Romains, Daniel Rops, Jean Schlumberger, Jules Supervielle y Henri Troyat; este eminente jurado supo apreciar las relevantes cualidades de novelista y estilista francés de Vilallonga.

L'homme de sang es el drama de un español exiliado durante veinte años en Rusia después de la caída de Barcelona. Comunista convencido, ha soportado el exilio, hasta el momento en que ha visto las manos del director de la Escuela de Guerra en Moscú, manos semejantes a las de Antonio de la Carcova, hijo del propietario del cortijo en el que estaba empleado antes de la revolución española. Desde ese día, su sueño comunista se ha desvanecido y ha querido regresar, volver a ver lo que tanto había amado: España y Soledad. De un golpe, pareció que los años se hubiesen borrado; siempre había guardado el recuerdo de España vivo en su alma, pero de pronto ese sentimiento se hizo una obsesión: «Ne plus pouvoir se passer de la réalité d'une lumiére, ni de la chaleur d'un certain soleil, ni de l'odeur d'une mer différente de toute autre... Écouter des voix qui crient des mots dans un langage qui est enfin le vôtre» (p. 177).

Decidió irse y anduvo durante dos años por Europa, y el principio del libro nos le muestra a su llegada a París, en 1958. Encuentra a su hermana, que ha instalado un café al que ha puesto el nombre «La Paloma», el mismo del cortijo donde han vivido los dos. Un amigo le habla de Soledad y le comunica que ahora vive en París. Durante la guerra civil, Francisco Pizarro había sido totalmente feliz al lado de esta mujer y no ha podido olvidar aquellos instantes: «ils furent mari et femme par la grâce de la violence, de la peur, de l'amour et de la haine» (p. 109); está convencido que Soledad sigue enamorada de él, pero acaba por darse cuenta de su craso error: Soledad nunca ha pensado en otra cosa que en salvar su piel y sus joyas: «Le général Francisco Pizarro est mort en Russie, ou en Espagne, qu'importe ce que croient les gens. En réalité, il est mort à Paris. Maintenant, de nouveau, c'est à Paco de tout recommencer. Mais Paco est si las, ses blessures sont si graves! Soledad lui manque et sa foi est saccagée» (p. 185).

L'homme de sang nos presenta a un hombre de pasiones violentas; ha odiado profundamente todo lo que representaba la opresión, pero no ha titubeado en matar con sus propias manos a Antonio de la Carcova, el hermano de Soledad, ha asumido con energía la defensa del proletariado y sueña todavía con incendiar las iglesias. Pero ha amado tan profundamente a Soledad, el cortijo andaluz, «La Paloma», a España, que siente la íntima necesidad de volver a ver su país, igual que tiene necesidad de comer y beber.

Su pasado está siempre vivo en él; su vida se ha detenido con la guerra civil y a pesar de los esfuerzos de sus amigos en París para hacerle comprender que está solo, que los españoles ya no quieren hacer   —64→   la revolución y que Soledad nunca le ha amado, se niega a rendirse a la evidencia. Sólo después de un terrible sufrimiento la asume y entonces su vida carece ya de sentido; vuelve a España para arrojarse a la boca del lobo, seguro de la suerte que le espera. «Le général Francisco Pizarro sortit de la voiture... il s'avança vers eux, les mains nues» (p. 199); vacío de toda ilusión, de todo sentimiento, se ofrece a la muerte que vendrá a liberarle del fardo de su vida.

El drama apasionante de Francisco Pizarro está narrado con una extraordinaria habilidad; el presente en París y el pasado en Andalucía, los amores de Francisco y Soledad, la guerra civil, el cortijo andaluz, las pasiones de esta Andalucía maravillosa, alternan de una manera natural y sin rupturas: Vilallonga crea un personaje tan vigoroso, -que según muchos es una recreación de «El Campesino»- de tanta personalidad que vivimos, pensamos y sentimos con él. Revivimos su sueño de juventud, la esperanza ilimitada de volver a encontrar a Soledad y a España; su desilusión y su amargura nos conmueven de verdad.

Al arte de un drama bien trabado y de un personaje inolvidable, hay que añadir el prestigio de un estilo personal, imaginativo, modelado sobre las pasiones fuertes que el autor expresa. El premio de la Universidad de la lengua francesa que se llevó Vilallonga con L'Homme de sang no podía estar más justificado y esta novela es una de las más interesantes que se han escrito sobre la guerra civil española.

Todos los novelistas que, como del Castillo y Vilallonga, han elegido a exiliados como personajes nos pintan la vida dura y penosa de seres obsesionados por lo que han dejado tras de sí y desgraciados en su nueva existencia. En casi todos los personajes encontramos la misma obsesión y la misma utopía: volver a su país; algunos intentan realizar su sueño, como Ceslestino Marcilla del Chaos et la nuit60 de Henry de Montherlant, y Francisco Pizarro, de L'homme de sang. Entre los varios franceses que han elegido el tema del exilio destaca, sin embargo, Bernard Clavel con L'Espagnol61, cuyo entrañable protagonista Pablo Sánchez, ya ni sueña en volver a España: considera que ya ha visto suficientes muertos y sólo quiere hacer una labor de paz, cultivando la tierra que por fin le pertenece, pero en Francia.

Jacques Folch-Ribas62 es otro autor traumatizado por el exilio. De origen catalán, se exilió a raíz de la guerra civil y vivió mucho tiempo en Francia, colaborando particularmente en el periódico Combat.   —65→   Siempre ha escrito en francés, publicó varias novelas63 y ensayos. Es arquitecto, profesor de historia del arte, crítico literario, de prensa, de radio y de televisión. Es miembro de la Academia canadiense-francesa de Québec, Canadá, su país de adopción desde hace más de treinta años.

En 1971, publicó una excelente novela sobre la tragedia del exilio, Le greffon64, que representaba una especie de viaje a las raíces de la memoria personal e histórica; esto ha sido un fenómeno muy frecuente en la novelística española desde la década de los sesenta y particularmente desde 1966, año de la publicación de Señas de identidad65, obra en la cual Juan Goytisolo proponía un personaje que se le parecía como un hermano.

Folch-Ribas, aunque no sea escritor en lengua española -pues escribe siempre en francés-, parece haber padecido el mismo dolor, la misma angustia que sus compatriotas frente al pasado. Es el resultado de una trágica situación histórica en la cual no tomó parte pero que ha orientado toda su vida, que le ha moldeado. En Le greffon, este problema se revela particularmente acuciante en el protagonista. El libro tiene de por sí un título revelador, «El injerto», es decir el hombre que trata de tomar nuevas raíces en otro suelo, y sin duda es la más autobiográfica de su autor.

Le greffon nos presenta a Jaume Zamé: vive en Francia desde 1939, nació en Barcelona y se encontraba feliz en medio de su numerosa familia cuando estalló la guerra civil. Este cataclismo vino a trastornarlo todo: «Une folie, une maladie est passée par la ville, et par le pays, et par le monde, semble-t-il. Je suis malade donc, moi aussi, et toutes les analyses que j'essaierai de faire me conduiront au même point: mon écrasement» (p. 62).

El padre y el tío de Jaume marcharon al frente después de treinta días de instrucción y volvieron sólo para llevarse a los suyos en el momento   —66→   de la retirada del ejército republicano. Un penoso éxodo, una estancia breve en un castillo del Pirineo con los últimos resistentes, el campo de concentración y por fin la vida de campesinos en el pueblecito de Chapotte, en Francia, durante la guerra mundial: he aquí la vida de Jaume hasta su marcha a París, su colocación como dibujante y maquetista en varios periódicos y su encuentro con Olava.

Quiere apasionadamente a esta mujer y su amor es compartido -relato al presente como lo hace el narrador-, pero Jaume -que ahora se llama Jacques- es tan excesivo, tan caótico que no pueden seguir juntos: agotado ya, este hombre roto por las tribulaciones de su existencia, se da cuenta que el entusiasmo que sintiera al triunfar en la capital francesa era falso. Necesita volver a ver su país a toda costa: marcha hasta el Pirineo, sube a pie las montañas y la vista de su patria le embriaga. Sin embargo está totalmente confuso y su angustia es inmensa: «Je suis un pauvre enfant, tout mêlé. Je ne sais plus que dire. Je contemple mon blasphème. J'ai honte devant tous ceux que j'aime, les morts, les torturés, les brúlés vifs et ceux, comme moi, que nul n'a touchés et qui jour après jour ont enduré pire que la douleur: le désespoir, toute une vie...» (p. 279).

Dividida en tres partes, «Le scion» (El pimpollo), «Le vairon» (El de ojos de colores diferentes) «La souche» (La cepa), esta obra sigue globalmente la cronología de Jaume: vivió en España hasta la adolescencia, luego la lucha fratricida le echó de su patria y tuvo que adaptarse a otras realidades. Esta fase de su vida fue tan dura que uno de sus ojos cambió del color negro al azul, se hizo «nórdico» le dice un médico; esta diferencia de color simboliza todo su ser escindido en dos por la estupidez humana. Jaume acaba por «prender» y crecer en el país vecino pero como indica claramente el título, no será nunca más que «un injerto» torturado por el recuerdo de sus raíces, de su patria. Al final de su relato confiesa que todo lo escrito sobre su vida y familia era ficción, pero a la vez fiel reflejo de su angustia.

La búsqueda de identidad de Jaume-Jacques -nótese la igualdad de nombre del autor y de su criatura- es tremendamente angustiosa y una de las formas más logradas para hacerlo sentir al lector es el uso de las tres personas del verbo; la tercera más frecuentemente, a menudo la primera y algunas veces la segunda: estas dos particularmente eficaces para hacer ver la quiebra profunda en el protagonista: «Je suis là! Ce garçon qu'on nommait ainsi, c'est moi, Jacques. Du plus loin des temps, on lui disait Jaume» (p. 13). «Laisse-moi donc, mon frère Jaume, tu m'embêtes» (p. 223). «Je t'ai tant parlé, à toi mon frère Jaume, comme à un autre moi-même! [...] Mais je te découvre, et tu me confonds. Tu es moi. Alors qui suis-je, moi qui suis tous les jours Jacques?» (p. 262).

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Otro recurso utilizado por el novelista para crear la impresión de caos interior, de confusión en el protagonista, es la ausencia de línea cronológica: el pasado, el presente y el futuro se mezclan constantemente a pesar de las tres grandes divisiones de la obra que aparentemente siguen un orden. Los múltiples puntos de vista también colaboran a este efecto.

El estilo es ágil, profundamente lírico, sobre todo en las descripciones del país natal, de Cataluña: «Je me noie dans ce pays qui est le mien. Je me saoûle de ses odeurs» (p. 276).

Todo ello viene a hacer de esta novela de un exiliado catalán, escrita en un idioma ajeno un testimonio vibrante de la sangría intelectual y psicológica causada por la guerra.

Carlos Semprún-Maura66, y Jorge Semprún67 son otros dos casos de hijos de españoles transplantados en Francia y que en sus novelas escritas en su segunda lengua lograron una brillante carrera. Carlos Semprún-Maura nació en Madrid en 1926, salió de España en 1938 y reside habitualmente en París. Su novela L'an prochain à Madrid, rápidamente traducida al castellano con el mismo título, El año que viene en Madrid68, trata más de las consecuencias de la guerra civil que de los hechos propiamente dichos. Cuenta un episodio de la vida de un hijo de exilado, Lorenzo Santalla: acude a Roma donde ha fallecido su padre y vuelve luego a Francia no con la pena de haber perdido a un ser querido sino con la muerte en el alma. Para todos los que luchaban con ideal revolucionario, había que volver a Madrid con la cabeza alta, vencer al vencedor del Alzamiento militar; cada año estaban todos seguros que el triunfo era para el año que viene, pero ya han pasado tantos años que el ideal se ha disuelto en la nada.

No hace falta insistir en la personalidad de Jorge Semprún pues es muy conocido en España por haber sido durante unos años recientes ministro de cultura. Conoció el exilio desde los catorce años y durante la Segunda Guerra mundial ingresó en el Partido Comunista. Se lanzó   —68→   precozmente a la política y fue un hombre de acción convencido de que el comunismo constituía la única vía buena; sin embargo, en 1962, fue expulsado del partido. Una intensa actividad literaria siguió a la acción política y Semprún ha obtenido un gran éxito desde la publicación de su primera novela, Le grand voyage, que se mereció el Premio Internacional Formentor, en el que quedó finalista Mario Vargas Llosa y su célebre novela La ciudad y los perros; la victoria de Semprún señalaba su valor. La guerre est finie69, su segundo libro, proseguía la línea ya trazada en la primera novela: la política; después de la deportación de un comunista a Buchenwald, Semprún relata el combate sostenido por un grupo de españoles en el exilio.

La guerra de España representa para el autor el osario de dos épocas decisivas del siglo XX: «Porque se trata de la última guerra revolucionaria que ha habido en Europa, porque las fuerzas que han participado en ella han determinado inmediatamente después la historia de Europa para tres largos años»70.

En su novela La deuxième mort de Ramón Mercader71, Premio Fémina 1969 pero publicada en España sólo en 1977, Semprún vuelve sobre el tema, aunque de una manera muy episódica: se menciona varias veces como algo vivido en parte por ciertos personajes, pero no constituye sin embargo un elemento principal. El gran tema de este libro es, al igual que en toda su obra, una reflexión, una interrogación sobre la política. Después de haber militado en las filas del comunismo, Jorge Semprún medita sobre el destino de las revoluciones y nos ofrece su pensamiento mediante la interpretación de sus personajes. La deuxième mort de Ramón Mercader se aleja mucho sin embargo de la novela doctrinal; las ideas están expresadas en un relato opaco, denso y complejo. En efecto, en este libro de aventuras, en el que afluyen las referencias históricas y políticas, donde no están ausentes ni las descripciones estéticas, ni las evocaciones poéticas, ni las escenas eróticas, el fantasma del verdadero Ramón Mercader está presente en todo momento. El asesino de Trotsky se ha convertido en su símbolo, un mito de la represión estalinista que Semprún nos hace ver en su personaje.

Después de José Luis de Vilallonga y de Jacques Folch-Ribas, el novelista español de más relieve en Francia sobre el tema de la revolución del 36 y sus consecuencias es sin duda Agustín Gómez-Arcos72.   —69→   Se exilió a Francia en 1966, llegó a dominar de manera extraordinaria la lengua de Molière y hasta la fecha ha escrito varias novelas entre las cuales tres evocan de manera más o menos extensa la revolución en la cual nació: María República73, Ana non74 y Un oiseau brûlé vif75.

Hablaré en detalle sólo de la primera, María República (sic) por ser realmente la de mayor calibre. Es una espléndida obra que le mereció a Gómez-Arcos una fama de gran escritor. Se desarrolla en la década de los sesenta y su protagonista, María República Gómez-Arcos, hija ilegítima de padres ilegítimos, sale del burdel para entrar en un convento. El tema de por sí llama la atención por su truculencia pero está tratado de una manera soberbia.

Una ley ha obligado el cierre de muchas casas de prostitución y María República, la «puta roja» de una casa frecuentada por los burgueses del Régimen franquista, está llevada a un convento dirigido por una Reverenda Madre, duquesa dos veces, que ha escrito una regla muy particular, en la cual entre otras cosas se afirma: Dios no existe y que hay que inventarlo. Para María, «Le passé s'endort, démon docile, mais avec l'espoir de se réveiller un jour, atteint d'insomnie. Pour ne plus se rendormir. Jamais» (p. 18). La superiora es sifilítica como María, ha sido contagiada por su marido, contagiado él mismo por mujeres como la recién ingresada; pero María se ha dejado devorar por esta tremenda enfermedad para transmitirla a los franquistas a los cuales ha jurado un odio eterno: su guerra ha sido microbiana. La sífilis, en todo su horror, une sin embargo a las dos mujeres.

El convento funciona de manera poco ortodoxa, se hacen regularmente sesiones de espiritismo, las confesiones de las monjas se graban en cintas para luego ser estudiadas por la superiora, etc. María parece someterse: «Chacune de tes soumissions», piensa, «sera un pas de plus vers un non total» (p. 46), pero la rebeldía está en lo más profundo de su ser: «Ton nom est maudit. Mais beau, tu le sais, de cette beauté rouge et damnée de tout ce qui est interdit» (p. 64), «Le curé te baptise María Gómez-Arcos. Toi, qui par la volonté révolutionnaire de tes parents, t'appelais hier encore María República Gómez-Arcos» (p. 68).

Poco a poco María se va calmando, parece recuperar la paz y después de dos confesiones generales pronuncia sus votos de castidad, pobreza y obediencia. La ceremonia es suntuosa pues han vestido a la novicia como a una reina pero en la fiesta que se organiza para ella en esta ocasión, María se siente volver a lo que era y prende el convento: muere quemada viva, desnuda, mirando al cielo y sin haber perdido su identidad de mujer rebelde.

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María República es evidentemente una novela política, una novela negra pero es a la vez una gran novela. Su acción inmediata pasa más de dos décadas después de la guerra civil, pero por medio de los retrocesos se repasan todos los años anteriores. Hija de incendiarios de iglesias, fusilados por los franquistas, María no puede olvidar la muerte horrible de sus padres y el hecho que hayan sido echados a la fosa común. Toda su vida ha sido una venganza pues quería, con su enfermedad venérea, infectar a todos los partidarios de Franco y sus descendientes. Con su estancia en el convento parece convertirse pero puede más el atavismo que cualquier lavado de cerebro.

El libro recuerda los esperpentos de Valle-Inclán, pero los espejos deformantes son aquí mucho más exagerados que en el autor gallego: la sátira, la condena del franquismo, de la Iglesia católica, de la religión llegan a extremos pocas veces alcanzados. El estilo a menudo muy bronco, las frases cortas y sin verbo sugieren perfectamente el carácter, el estado de ánimo de la protagonista, el odio que tiene su origen en la lucha cainita, su necesidad visceral de revancha; son como trazos negros que recuerdan también las pinturas negras de Goya denunciando una realidad insoportable, indignante, y a la vez un deseo irreprimible de libertad76.

Por desgracia, y como ha pasado con tantos novelistas que se exiliaron en varias partes del mundo, tanto Gómez-Arcos como los otros que he analizado brevemente en este trabajo, sus libros son muy poco conocidos en España. La afirmación de Rosa Montero en 1985, referente a Gómez-Arcos: «Ganador de diversos premios y finalista del Goncourt en dos ocasiones, caballero de las Artes y las Letras de la República Francesa. Vive en París, escribe durante los veranos en España, y en nuestro país, que es el suyo, sigue siendo, por desgracia, un desconocido»77, esta afirmación, digo, sigue vigente para todos los novelistas que he presentado en la presente ponencia78.



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ArribaAbajoFederica Montseny en Toulouse. Una vocación literaria frustrada79

Lucienne Domergue


Université de Toulouse-Le Mirail


Vivir quiere decir tener imperativos, necesidades supremas de vida, que hagan la nuestra precisa, que la hagan útil y le den un valor en el tiempo y en sí misma.


F. M., La Indomable, 1931                


En 1987, cuando Federica Montseny publica su última obra titulada Mis primeros cuarenta años80, es consciente de que queda una importante laguna, los cuarenta años siguientes, precisamente los de su exilio tolosano. Y apunta en las «Palabras previas» que abren su autobiografía: «Quedan aún cuarenta años más por relatar, en los cuales seguí actuando y sucedieron acontecimientos que merecen ser historiados, por las experiencias y las enseñanzas que de ellos se desprenden... Si la Naturaleza me concede unos cuantos años más de existencia y el tiempo que me imponen otras actividades me lo permite, procuraré describir lo que han sido estos otros cuarenta años de mi vida.

Si mi vida se acaba, espero que alguien cuidará de recordarlos y de relatar los hechos más salientes en los que intervine, sin olvidar mi constante participación en lo que fue la lucha contra la dictadura en España, los esfuerzos realizados para acabar con ella y mi palabra de solidaridad con el pueblo español, llevada a los diversos países por los que realicé giras de propaganda».

Federica no pudo cumplir su promesa: las fuerzas, la vista y por fin la vida se le acabaron antes. Nadie todavía, que yo sepa, ha emprendido, o por lo menos nadie ha llevado a cabo, esta misión que solemnemente   —72→   La Leona dejaba fijada en su prólogo-testamento, al señalar en pocas palabras -breve balance de una existencia ejemplar- las líneas esenciales de lo que, al fin y al cabo, había sido su largo exilio.

Adviértase que Federica Montseny, que se pasó la vida en España y fuera de ella escribiendo, que publicó durante más de sesenta años -desde la edad de diez y siete81 hasta los ochenta y tantos años-, no menta para nada su labor tenaz y gozosa de escritora.

¿Qué es lo que reivindica Federica in articulo mortis? Ella insiste sólo sobre dos cosas, recomendando encarecidamente a su eventual biógrafo no se vaya a olvidar de ellas («sin olvidar...»): su constante lucha política contra la dictadura franquista por una parte, y por otra su solidaridad viva, activa, con «el pueblo español» (o sea con los exiliados republicanos), mediante su presencia y su palabra, en esas giras de propaganda que emprendió por toda Europa y más allá al encuentro de la diáspora, antes de que viniera por fin la hora de poder realizarlas por la península (la recorrió de punta a punta en cuanto le fue posible).

Se sabe, y ella lo sabe más que nadie, que durante toda su vida fue una gran oradora, con una voz fuerte («mi vozarrón», dice Federica) y conmovedora, y que llegó a ser casi un mito para los que comulgaban en el recuerdo de ese 19 de julio de 1936, día del levantamiento del pueblo de Barcelona contra el golpe de Estado militar. No había un gran mitin sin Federica, la sola mujer que estaba en la tribuna entre unos compañeros que tendrían hacia ella unos sentimientos complejos, ambiguos, de admiración y recelo.

Si en sus recomendaciones F. Montseny se olvidó de rememorar su valentía en el manejo militante de la pluma, fue quizás porque eso le parecería evidente, y por lo tanto excusado era decirlo. Quizás. Recuerda, eso sí, recalcando, que no dejó ni un momento de luchar contra la dictadura instalada en Madrid. No con la dinamita, por supuesto, sino con la «dinamita cerebral», la cual tuvo que pasar a menudo por su propia voz, pero más aún por su escritura incansable.

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El papel de la prensa en el exilio fue capital, tanto la prensa periódica como las ediciones de un sinfín de libros y folletos, lo que se llamaba «Servicio de librería». Los españoles desterrados no faltaron nunca de este alimento intelectual específicamente preparados para ellos. En esta prensa todos los problemas eran tratados, no sólo los del exilio, sino también los de la España de Franco, así como los grandes temas de la política mundial, mientras las cuestiones de política francesa eran las que solían pasarse por alto. Fácil es entender el porqué: los exiliados tan benignamente «acogidos» en el país vecino tenían, en cambio, obligación de reserva; en estos campos el mutismo era aconsejado; por eso muy contadas veces se leen en la prensa del exilio comentarios sobre la actualidad francesa.

Hasta el final de su vida Federica se vio como ejerciendo una profesión: la de periodista, aunque en Toulouse el periodismo ella lo considerara más como un medio que como un fin, más como un instrumento de lucha que como un status social: era el medio político de conservar o recobrar algo de lo que se había perdido a principios de 1939.

Por eso mismo Federica no se podía permitir, a la hora del balance, hacer alarde de sus habilidades de escritora. ¿Cómo le hubiera sido posible decentemente mencionar la literatura entre las cosas que ella juzgaba esenciales en su derrotero vital? F. Montseny había sido siempre demasiado responsable en su compromiso con los vencidos para cultivar su propia obra literaria. Entre los desterrados más conscientes, la derrota y la huida criarían cierto complejo de culpabilidad que sólo se podría aliviar cumpliendo a machamartillo con el deber: deber de lucha y de solidaridad.

Tan punzante ausencia, tan lacerante pérdida del suelo español requerían nuevos medios y remedios: los cuentos y las novelitas para la juventud a los cuales Federica Montseny dedicara su tiempo durante la primera dictadura del presente siglo -la de Primo de Rivera- debían sustituirse por los discursos políticos serios, repetidos y adaptados de modo infatigable a lo largo de los años; la agitación sí, la literatura no. Los que bien la conocieron en Toulouse, los que la trataron durante todos esos años saben que lo que en el fondo más le hubiera gustado hubiera sido poder hacer lo contrario. Pero...

Federica tenía una pasión por la literatura y esta pasión fue precoz. La niña que no había pisado nunca una escuela, en cuanto supo leer leyó de todo: «Ningún límite tuve en mis lecturas. Lo pude leer todo y leí, por lo menos, todo lo que tuve a mi alcance». Va citando autores como Dumas, Víctor Hugo, Blasco Ibáñez, Palacio Valdés, Zevaco, Féval, Zola, Balzac, Tolstoi, Turgueniev, Galdós, Chejov, etc....82

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Para el pequeño equipo familiar de la calle Guinardó los años de la dictadura-dictablanda de Primo de Rivera fueron los más fecundos por lo que a obras de ficción se refiere. Toda propaganda oral estaba entonces terminantemente prohibida. Urales pensó recurrir a la literatura ya que paradójicamente en aquellos momentos era menos sospechosa. Primero fundó La Novela Ideal, «que tan gran acogida tenía entre la juventud, comenta Federica. Empezamos con una tirada de diez mil ejemplares semanales, al precio de quince céntimos. Pronto pasamos a veinte mil, y más tarde llegamos hasta cincuenta mil. En La Novela Ideal se abordaban, en forma novelesca, temas antirreligiosos, de propaganda libertaria, a favor del amor libre y contra los prejuicios sociales. Luego siguió La Novela libre, de 64 páginas, mensual, y después lanzamos una revista ilustrada, El Mundo al día. La Revista Blanca seguía publicándose. Durante este período, además de las novelas, Ideales y Libres, que escribí, redacté dos, que levantaron mucho revuelo en nuestros medios: La Victoria, seguida de El hijo de Clara. Abordaba en ellas el tema de la libertad femenina, que suscitó grandes discusiones y polémicas83. No eran muchos los hombres que en aquellos años (hace más de cincuenta) aceptasen algunas de las premisas por mí sentadas. A ella siguió La Indomable, novela más o menos autobiográfica»84.

La lista de las novelas cortas escritas en estos siete años de la dictadura primorriverista, o sea entre 1925 y 1931, es impresionante. Aparecen en la solapa de algún viejo ejemplar los títulos siguientes:

La Novela Ideal:

Florecimiento, Las santas, El amor nuevo; ¿Cuál de las tres?, Los hijos de la calle; Maternidad; El otro amor; La última primavera; Resurrección; Martirio; La hija del verdugo; María de Magdala; El rescate de la cautiva; El amor errante; La vida que empieza; Sor Angélica; La ruta iluminada; El último amor; Nuestra Señora del Paralelo; El derecho al hijo; Los caminos del mundo; La hija de las estrellas; Frente al amor; Sol en las cimas; El sueño de una noche de verano; El juego del amor y de la vida; La infinita sed; Sonata patética, Pasionaria; Tú eres la vida; El ocaso de los dioses; La mujer que huía del amor; El amor que pasa; Un hombre; Cara a la vida; La rebelión de los siervos, Una   —75→   mujer y dos hombres; Amor en venta; Nada más que una mujer; Calvario, Vidas sombrías, Mabel; Amor sin mañana.

La Novela libre:

Una vida; Aurora roja; Ana María; Heroínas; Vampiresas; La aventurera; La sombra del pasado; Sinfonía apasionada; Amor de un día.



En aquel entonces Federica se ve (y los demás la ven -entre ellos Germinal Esgleas, el futuro compañero-) «destacar en el mundo de la literatura y del movimiento, con mis libros y mis artículos»85.

Hablando de las incontables ediciones y reediciones que se hicieron entonces de las obras de su padre Federico Urales (Sembrando flores, Los hijos del amor, Renacer, Los grandes delincuentes que «eran las más leídas y difundidas de aquellos años»), añade: «Incluso mis novelas, La Victoria, El hijo de Clara y La Indomable, que eran muy leídas, jamás alcanzaron la popularidad de las obras de mi padre, que leían con fruición jóvenes y viejos de ambos sexos».

En esta alborada de su vida y pasión literaria, Federica estaría contenta de sí misma86. Como muy pronto lo estuvo también de su padre querido. En Mi vida, Urales consideraba que, después de los años en que se combinaron la instrucción familiar a cargo de su madre Teresa Mañé, antigua maestra laica, y la autoformación de la niña a base de lecturas intensivas (como un modesto zapatero libertario de aquellos tiempos o como Leonardo da Vinci, Federica es toda una autodidacta), su hija había llegado a ser una buena profesional.

En el tomo 3 de su citada autobiografía, con este modo de contar las cosas que es tan suyo, Federico Urales recuerda su decisión de dejar Sardañola (Cerdanyola), un pueblo de las afueras de Barcelona, donde vivían bastante bien criando animales, para instalarse en el ambiente más intelectual de la gran ciudad: «Además, estaba mi hija. Yo no tenía derecho a malograr su talento, encerrándola en una vida de verduras, hierbas y conejos. Para vida tal no hacía falta ni la inteligencia que ella tenía ni la instrucción que le habíamos dado, particularmente su madre en lo referente a la instrucción; en lo de ser inteligente Federica, algo me tocaría a mí. Digo particularmente su madre en lo tocante a la educación, porque era ella la que más estaba junto a la niña en casa, y además porque la pequeña me temía; temía mi crítica y mi costumbre de corregir. Le daba mucho coraje cuando yo leía sus cuartillas y, sobre todo, cuando incoscientemente mojaba la   —76→   pluma al ponérmelas a leer, que es lo que hago siempre sin darme cuenta al colocarme un escrito delante. Era un hábito mío, pero a la niña le enojaba mucho y acabó por ocultarme todas las plumas para que no pusiera ni quitara palabra ni coma alguna de sus escritos. Sin embargo, no tardé mucho en comprender que mi hija escribía mejor que yo y sus cuartillas pronto pasaron directamente a los linotipos. Ahora leo todos sus artículos cuando ya está en venta La Revista Blanca. ¡Qué hermosos son! Lo digo sinceramente, Federica es mi mejor obra, le sigue luego El último Quijote»87.

Infancia y adolescencia, tiempo de formación intelectual. En este caso formación tanto literaria como política: Federica Montseny nunca las concibió separadamente. En Mis primeros cuarenta años, la autobiografía del otoño de su vida, Federica evoca con cierta ternura este su ya lejano noviciado literario de los años de la primera dictadura88.

Pero si de paso menciona algunos de los datos citados más arriba, se ve que al terminar su exilio en Toulouse, su interés va más a los primeros pasos que dio entonces en la vida política barcelonesa que a las satisfacciones que en su juventud no dejaba de sacar de la escritura de ficción. En el capítulo relativamente corto (se compone de 43 páginas) que titula escuetamente «Primera Parte», prefiere detenerse en los acontecimientos históricos de aquellos primeros decenios (desde el trienio bolchevique y el lock-out de 1919 hasta la insurrección de Jaca de 1930). Es que Federica con sólo 12 años va ya con su padre a los cafés, al teatro, y también le acompaña en los mítines y las manifestaciones; hasta asiste sola a su primer mitin en el Cine Montaña. «Empieza mi vida de mujer y de militante», reza el apartado de sus memorias correspondiente al año 1921; tiene entonces diez y seis años.

A partir de la proclamación de la República en 1931, su vida sigue todavía más estrechamente el destino de España. En las otras tres partes de su biografía («De la Proclamación de la Segunda República al Congreso de Zaragoza, 1931-1936», es el subtítulo de la segunda; la tercera se abre con «Los acontecimientos de julio de 1936», mientras la cuarta, la última y más larga -más de cien páginas-, empieza por «El éxodo» con el paso del Perthus, y termina con la «Liberación de Francia»), la existencia cotidiana de Federica se aparta muy pocas veces de la historia general de España y Francia, historia a la sazón siempre dramática para los republicanos españoles.

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Cuando Federica muere en Toulouse en el otoño de 1993, con sus 88 años a cuestas y sus ojos ya inútiles, tiene íntegra su cabeza y su personalidad a pesar de los pesares. Recientes unos: la pérdida de una hija en flor (Blanquita tenía sólo 35 años), de un «compañero» de medio siglo, de un sin fin de compañeros cuya vida y milagros, cuyos recuerdos los redactores de la prensa libertaria, y ella la primera, evocan piadosamente en sus artículos necrológicos, y cada vez más a menudo, según van pasando los decenios. Añejos otros y no por eso menos dolorosos, como son la pérdida de una guerra, la «gran ilusión» trocada en exilio perpetuo.

Cuando inicia verdaderamente esta última etapa89 hecha de inacabable enajenación -desposesión de su país más que de sí misma-, en contraste con el decenio precedente que no había sido más que una sarta de tragedias bélicas, Federica Montseny cuenta cuarenta años, una cifra que representa normalmente la mitad de una vida -de hecho para ella es algo menos de la mitad de su propia vida activa-. En adelante este exilio forzoso y consciente va a ser la tónica más fuerte de su recorrido vital.

En su caso particular el exilio no pudo ser lo que fue para algunos de los que la rodeaban en Toulouse: una continencia, un mero accidente, o sea un suceso eventual que altera el orden regular de las cosas. De todas formas algo que pasa y con que uno tiene que arreglárselas sea como sea. ¿Por qué para Federica no podía en absoluto ser esto la estancia tolosana? Primero porque, cuando en 1945 se instala -verdadera y definitivamente- en Toulouse, tiene cuarenta años y tres hijos, o sea que la vida ya no la tiene delante, y por consiguiente abierta aún. No era como esos chicos y chicas que de España sabían   —78→   bastante poco, de no ser los desastres de una guerra civil, y que fácilmente caían en la tentación de volver página y de empezar de nuevo. Hay más: ella era una mujer hecha y derecha, ya madura; de quererlo nunca hubiera podido hacer tábula rasa de la historia anterior. Tanto más cuanto que precisamente esta historia todavía candente había sido a un tiempo su historia personal y la historia nacional: en 1936 Federica fue ministro de Sanidad de la República, la primer mujer española que ostentó este título. Tamaño privilegio que, de haber terminado de modo distinto la Revolución española, hubiera podido resultar una ventaja social, en el contexto de derrota absoluta de la posguerra no podía ser para ella sino una desgracia más. Federica pudo sentirse responsable de un fracaso contundente, igual que el de los transterrados, con tintas muy sombrías, y a un tiempo inspirarles deseos desesperados de seguir de pie para sí y para los demás, de no dejarse anonadar, salvando en condiciones tan precarias lo que podía serlo: la firmeza moral de cuño estoico, la militancia política sobre nuevas bases, el apoyo mutuo de rancia tradición anarquista.

En Toulouse Federica no podía seguir siendo lo que había sido en Barcelona antes de 1936, esta joven libertaria ardiente que escribía novelitas para la editorial familiar (las Ediciones de la Revista Blanca, calle Guinardó 37), periodista comprometida que emborronaba con entusiasmo comunicativo las páginas, como lo venía haciendo desde unos decenios su padre Juan Montseny-Federico Urales.

A orillas del río Garona la consigna sería forzosamente distinta: sobrevivir para luchar como fuera, esperando y preparando una vez más problemática revancha. El fracaso político conllevaba la renuncia de cierta práctica literaria. La ficción más o menos autobiográfica dejaba paso a una prosa decididamente combativa.

A partir de su llegada a Toulouse, a mediados del año 1945, cuando puede reconstruir y recobrar su familia, incluso su familia política90, Federica Montseny va a llevar con paciencia durante más de cuarenta años una vida doble como hoy en día la llevan muchas mujeres: por la mañana hace la vida normal de una madre de familia con escasos medios económicos, mientras que por la tarde, como lo cuenta ella misma durante la Transición en una de sus entrevistas91, dedica el tiempo que puede a leer, a escribir y a llevar varias tareas orgánicas92.   —79→   Y eso es lo que seguiría haciendo si no hasta su muerte, por lo menos hasta la liquidación del franquismo.

En el prólogo de Mis primeros... F. Montseny evoca de modo lacónico y modesto su labor en la prensa del exilio: CNT y Espoir que dirigió «durante varios años». El catálogo de sus artículos es tan imponente que no tiene cabida aquí. Sus crónicas, políticas casi todas, aparecen de modo regular cada semana en estos periódicos, salvo cuando por motivo de algún viaje de propaganda se encuentra fuera de Toulouse. De modo que suena algo rara la expresión que usa en la entrevista que le hace Tiempo de Historia en 1977: «al fin y al cabo mi profesión es la de periodista». «También», hubiera sido más exacto añadir.

Sinceridad y valentía exigía Urales de los verdaderos anarquistas. Hasta el final a su hija no le faltó ni una ni otra. En el exilio, menos aún teniendo en cuenta sus responsabilidades políticas pasadas y presentes, podía abandonarlas. De hecho Federica no era de los que desertaban.